CHAUD BOUILLANT ! Je pose sur un coin de table un projet qui mijote depuis plusieurs mois. Amoureuse des listes, cartes mentales, bibliographies et autres supports pour bouffer la culture, c’est ici avec l’image du ragoût que j’espère moi-même partager mes découvertes théoriques, visuelles, anecdotiques. Le ragoût, plat familial qui embaume nos cuisines ou figure littéraire de « ce qui stimule l'attention, l'esprit, les sens de manière agréable », sera ici une somme aléatoire d’ingrédients qui mijotent dans une sauce délicieusement féministe. Bon appétit !
La cuisine a beaucoup occupé mon esprit ces derniers mois, plus particulièrement la manière dont elle s’inscrit depuis plusieurs décennies dans les luttes féministes : les livres de recettes qui perturbent les dictats ou financent l’action politique comme décrit par Stacy Williams dans « A Feminist Guide to Cooking », ou deviennent des outils biographiques dans Synergetic Stew. Explorations in Dymaxion Dinin (2020) ou La cuisine de Marguerite (1999). Les recettes ne sont pas que des outils domestiques, elles sont la traces d’existences effacées ou de véritables méthodes scientifiques, qui font l’objet du blog « The Recipe Project. Food, Magic, Art, Science and Medicine ».
Des méthodes scientifiques que l’on retrouve déconstruites dans l’art de la fermentation, un équilibre instable d'action micro-organiques dont l’ingrédient principal est le temps. Un temps que certain·e·s – comme l’écrivain et activiste Sandor Katz – utilisent pour mettre en relation cette technique culinaire et la fluidité du genre et ses états de transitions.
« As you watch your fermenting food bubble away as bacteria and yeast work their transformative magic, envision yourself as an agent for change, creating agitation and unrest, releasing bubbles of transformation in the social order. »
Sandor Katz, Wild Fermentation
La réflexion sur les relations d’échelle entre l’humain et les micro-organismes se poursuit dans la section « Critical Cooking Show » de la 5e Biennale de Design d’Istanbul, qui présente le court métrage As Above So Below (Mariana Sanchez Salvador & Rain Wu, 2020), rempli de délicieuses photographies microscopiques de substances comestibles.
La perspective grotesque de Cindy Sherman nous place à quelques centimètres de scènes alimentaires apocalyptiques – vomi et nourriture en décomposition –, critique du dégoût construit des femmes et de leurs fluides corporels. Il faudrait alors s’asseoir aux tables du Crédac pour ouvrir les perspectives d’un meuble qui, s’il a pu sembler n'être utile qu’à éplucher des légumes ou creuser le gouffre de relations toxiques à la bouffe, permet aussi de créer et penser.
Une image cristallisée de la cuisine dont s’emparent les membres du collectif de skateuses Skate Kitchen pour envahir l’espace des Skateparks de leurs sororités ou de leurs looks éblouissants au bruit éclatant de leurs roues marquant l’asphalte.
Finalement, ce sont les pouvoirs de la poésie de Josèfa Ntjam dans sa performance Hilolombi #02 (2019), et des mots – que dis-je des bombes – de Virginie Despentes lors du séminaire de Paul B. Préciado au Centre Pompidou qui marquent mon esprit en cette fin 2020. La force du discours pour régénérer et rassembler.
« La frontière de mon corps ce n’est pas le bout de mes doigts, ni la pointe de mes cheveux. La frontière de ma conscience n’est pas ma force de conviction, c’est l’air vicié que je respire et l’air vicieux que je rejette, la boucle dans laquelle je m’inscris est bien plus large que celle que ma peau définit, l’épiderme n’est pas ma frontière. Tu n’es pas protégé de moi, je ne suis pas protégée de toi »
Virginie Despentes
2019. Hilolombi #02. from SEAN HART on Vimeo.
« On ne cherche plus à marcher mais à nager. D’étoile en étoile. Il n’y a plus de nation dans mes mots. Mais je continue à parler de ces terres, mers, nations et avions. »
Josèfa Njtam
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