L’été se termine, les couchers de soleil deviennent plus intenses (d’ailleurs, il est peut être temps de tester les Sunset Cocktails de Guillaume Aubry et Sterling Hudson) et les téléphones débordent maintenant de fesses rebondies, de tétons redessinés par les traces de bronzages, de nombrils irradiés par les UV – bref des nudes à la pelle qu’il faut s’efforcer de trier, ranger, cacher, supprimer.
Dans le flot d’images reçues, enregistrées, capturées, on s’attachera principalement à supprimer les manifestations d’un fléau contemporain : la dick pic. Dans la série Euphoria, Rue nous offre un splendide exposé classifiant les dick pics en deux catégories (sollicited / unsolicited) et parmi le faible pourcentage de photos sollicitées, trois sous catégories (horrifying, terrifying, acceptable) traduisent la détresse d’une génération d’hommes désemparés face leur propre image.
Les dick pics sont la plupart du temps médiocres, au mieux inintéressantes, très rarement excitantes. C’est le constat de la Néo-Zélandaise Maddie Holden, qui a créé une page Tumblr où elle critique les photos de pénis qu’elle reçoit via une boîte mail dédiée : si elle ne s’attarde pas sur les caractéristiques physiques des candidat·es, elle est intraitable sur la direction artistique de ces malheureuses images.
« According to Roland Barthes, “The image is peremptory, it always has the last word; no knowledge can contradict it, ‘arrange’ it, refine it.” In sex-oriented apps and websites like Grindr or ChatRoulette, nudity is the visual source for an extremely direct, explicit language. The virtual nature of the platform instigates an uninhibited exchange between users, saturated with the hyperrealism of X-rated selfies. Barthes’s “peremptory image” is now the dick pic. »
« Wanna Netflix ‘n’ Chill? », Elephant Magazine, n° 30, 2017.
Moon Museum, 1969.
La représentation des pénis n’est pas nouvelle et elle s’attache souvent à marquer un territoire, celui d’une relation possible ou bien carrément celui d’un espace extraterrestre. En témoigne la plaque déposée sur la Lune par la mission Apollo 12, où Andy Warhol avait apposé le croquis puéril d’un phallus.
On retrouve cette obsession masculine dans le film Super Bad, où l’un des protagoniste est atteint depuis son jeune âge d’un besoin compulsif de dessiner des bites sur tous ses cahiers.
L’enquête menée par les designers Charles Mazé & Coline Sunier, dans le cadre du projet Sex Symbols pour le CAC Brétigny, relève une sur-représentation des pénis dans les graffitis des villes de l’Essonne (seulement 4 vulves et 7 paires de seins observées en 2018, contre 103 phallus et 5 fessiers).
Le projet Do Not Draw a Penis utilise quant à lui le dessin de bite pour critiquer de façon humoristique la morale conservatrice de Google, qui refuserait d’intégrer les représentations de pénis dans son Quickdraw data set.
L’article « The Dick Pic: Harassment, Curation, and Desire » (2019) souligne l’importance des contextes de partage des dick pics, qui oscillent entre pratiques de harcèlement, de séduction ou de curation esthétique. Si le harcèlement liés aux dick pics est souvent dénoncé dans le sens de la réception non sollicitée, elle peut aussi se manifester, notamment dans les communautés homosexuelles, par la pratique de collections de dick pics par des hommes qui ne souhaitent pas faire de rencontres mais seulement dérober des photos sans donner suite aux échanges.
« The early practices of those seeking to hook up on the nowdefunct French Minitel system further allude to the dick. As Anna Livia (2002) notes, numbers (between 10 and 25— referring to centimeters) and/or abbreviations like TTBM (Très Très Bien Monté, translating into very very well hung) are used in complex codes of expressive pseudonyms to denote penis size among other information such as location. »
Susanna Paasonen, Ben Light, Kylie Jarrett, « The Dick Pic: Harassment, Curation, and Desire ». Social Media + Society, 2019.
La lutte s’organise alors pour crier le dégoût, la haine, ou simplement l’indifférence des destinataires de ces portraits anonymes sortis de tout contexte, éclairés à la lumière d’un flash laissant devinant les recoins sordides de salles de bains crasseuses. Il s’agit du filtre de la développeuse Kelsey Bressler qui serait capable de trier les dick pics avant qu’elles n’atteignent nos boîtes de réception sur Twitter (en cours de test via le compte d’essai @ShowYoDiq), ou bien celui de l’application de rencontre Bumble, Private Detector, qui floute les images potentiellement sensibles.
Celia Hempton, Caspar, 2014.
Si l’artiste Celia Hempton redessine en direct la laideur des pénis omniprésents sur les plateformes comme ChatRandom.com, les transformant en douceurs sucrées et colorées, Anna Gensler préfère la vengeance amère de caricatures dessinées sur son smartphone reprenant les messages abjects d’hommes rencontrés sur Tinder, qu’elle poste sur son compte Instagram avec le leitmotiv suivant : « Objectifying men who objectify women in 3 easy steps: Man sends crude line via internet. Draw him naked. Send portrait to lucky man, enjoy results. » La même perfidie anime le projet NFTTHEDP, qui propose de vendre sous forme de NFT les dick pics que l’on reçoit : « If you feel the urge to send a no-context jpeg of your junk, we’ll give it the audience you clearly think it deserves, by pinning its wrinkly ball sack to the blockchain. Yes that’s right, we’ll mint it as a NFT, for the WHOLE WORLD to see »
Pourtant, ces démarches vengeresses qui peuvent apparaître comme une forme d’empowerment ou du moins de retournement temporaire du pouvoir, ne font finalement qu’alimenter un système de harcèlement en ligne et de body shaming en pointant la plupart du temps le sacro-saint argument de la TAILLE.
La dick pic évolue ainsi dans des environnements numériques en constante évolution ( sur la plateforme CamSoda, elle est déjà devenue un outil incongru d’identification biométrique). Elle s’adapte aux conditions d’utilisation de différents réseaux sociaux ou plateformes, adopte des codifications visuelles, des systèmes de censure, elle disparaît et réapparaît. Elle s’adresse à des individus en privé ou bien à des masses d’inconnu·es sur des plateformes dédiées. Tik Tok devient un outil privilégié de création de vidéos pornographiques (mais pas forcément de publication de ces contenus), ou bien une source d’inspiration pour celleux qui en reproduisent les tendances dans la continuité d’une tradition du porno comme genre par excellence du remake.
Des hommes hétérosexuels s’emparent de la plateforme OnlyFans pour produire des contenus sexuellement explicites à destination d’un public homosexuel, posant la question de la perception sociale de leur activité, entre sexualité affichée, simulée et avérée. Sur Tumblr, OnlyFans ou Twitch, la censure ou l’invisibilisation des contenus sexuellement explicites provoque la colère de celleux (les travailleur·euse du sexe) dont on profite pour construire un empire technologique avant de le mainstreamiser. La définition même des contenus « à caractère sexuellement explicite » laisse un flou spectral sur toute une économie, attisant la haine envers les Hot Tubs et les Boobs Streamers.
« Chatroulette could well be viewed as a metaphor for the utopianism of the world wide web itself, which promised infinite connection and the democratisation of our global existence. Instead, we got trolls, unicorns and dick pics »
« Chatroulette Defined a Distanced Era of Awkward Zoom Chats and Dick Pics », Elephant Magazine, 2020.
Cammie Toloui capture les images d’hommes derrière les écrans de verre d’un peep-show à San Francisco, dans les années 1990.
Les nudes se retrouvent au cœur de rapports économiques basés sur le maillage étroit entre les tabous d’une société occidentale qui tait ses désirs et la manifestation exacerbée de sexualités empêchées (dick pics anonymes sur certains site de rencontres gay, ransomware demandant des nudes plutôt que de l’argent ou encore récolte de fonds associatifs par la marchandisation de nudes).
Sur Tik Tok, les contenus à caractère sexuel (#KinkTok) se déploient sans gênes sur les section « Pour toi » de mineur·es, comme le montre l’enquête du Wall Street Journal qui a utilisé des bots enregistrés comme mineur·es sur la plateforme, pour tester l’algorithme de recommandations du réseau social.
En 2021, Apple annonce une nouvelle fonctionnalité sur les iPhones : un programme permettra d’identifier des images pédopornographiques circulant sur iCloud. Cette fonctionnalité pourrait être étendue à un système de contrôle parental permettant de surveiller les images qu’échangent les adolescent·es. Si les parents l’activent, l’iPhone de leur enfant analysera chaque photo reçue ou envoyée dans un message texte pour déterminer si elle comporte de la nudité. Les photos nues envoyées à un enfant seront floutées, et l’enfant devra choisir de les regarder ou non. Si un enfant de moins de 13 ans choisit de regarder ou d’envoyer une photo de nu, ses parents en seront informés.
Ainsi, la possibilité (avérée ou non) d’être surveillée via nos appareils numériques par nos proches, des entreprises ou l’État crée un besoin accru (et franchement désespéré) de protéger nos écrans et ce qu’ils contiennent.
« Knowing you’re being monitored is different than feeling seen. Differently put: I’m more willing to be exploited than I am to be judged. That itchiness I get when someone touches my phone or computer is a kind of frantic impulse to explain: I want to gloss on the content, either to laugh it off or provide its rationale. To annotate my own banal, unmemorable, totally decent exposure »
Suzannah Showler, « New Feelings: Screen Protectiveness », Real Life Magazine, 2019.
Pour terminer, quelques images alternatives de bites :
Dirty Code, une site Web permettant de renseigner les caractéristiques de son pénis et d’en informer des partenaires potentiels sans leur infliger des images de qualité discutables.
Hervé, Little Monsters, 2015. La représentation du pénis sans sa gloire phallique, mais plutôt de « petits monstres » roses, doux, mous.
Yushi Li, The Lovers, 2020. Exposer le corps nu d’hommes blancs face à une femme asiatique habillée, une façon de reprendre du pouvoir, le temps d’une image.
Wolfgang Tillmanns, Nackt 2 (nude, 2), 2014.
Le Tumblr Things my dick does! propose des scènettes attendrissantes mettant en scène un pénis dans tous ses états.
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