Ma chère Milouch,

Je t’écris de retour de manif’ (donc depuis hier), encore bercé par les doux chants de la sono CGT et embaumé d’odeurs de saucisses. C’était vraiment une petite manif’ de début décembre, où personne est vraiment motivé, tout le monde est fatigué mais bon, faut y aller… Faut faire collectif¹.

Et puis bon, outre réaffirmer son désaccord avec ce qu’est le projet de société du gouvernement en général et pour les services publics en particulier, ça me permet de trancher net dans plusieurs de mes deadlines car cette semaine est particulièrement chargée… Ou en tout cas c’est ce que ne cesse de me répéter mon cerveau. Mais en fait, j’ai remarqué un truc depuis un bon moment déjà : dès que j’ai plus de 2 ou 3 trucs un peu conséquents à faire, je stresse, je m’en fais des montagnes, et en fait une fois dedans je plie le truc assez rapidement. Faut que j’apprenne à me faire plus confiance sur mes capacités de travail, mais mon cerveau est pas d’accord.

Et alors donc, dans cette manif’ ça faisait du bien de se retrouver à plusieurs, tu sens que même les flics c’est leur petit moment détente où ils peuvent taper la discut’ avec les collègues, parce qu’on va pas se mentir c’est pas dans une manif’ de profs et de bibliothécaires que ça va tanguer. Or, comme tu le disais la semaine dernière, ce qui est bon en manif’ ne l’est pas forcément en jeu de rôle²…

Oui, il y a tout un tas de poncifs et d’impensés en JdR et la notion de groupe en est une, je trouve. Et moi si je devais faire une manif’ du JdR, sur ma pancarte il y aurait écrit “It’s NOT dangerous to go alone!”

Parce qu’effectivement, autant dans certains cas, finalement assez restreints, ça fait sens de foutre un groupe de gens ensemble et de leur faire vivre des trucs, autant y a des contextes où ça ne fonctionne pas du tout : tu citais le mythe arthurien, dans lequel la figure du chevalier errant est quand même prévalent et le gars il est errant, c’est pas le chevalier avec ses potos, c’est dans l’intitulé merde mais j’ai envie d’y ajouter un bon paquet de jeux de fantasy, en premier lieu ceux qui s’inspirent de la saga Zelda ou apparenté. Parce que c’est pareil, ce sont des jeux vidéos où l’on suit des héros solitaires, et ce n’est pas que parce que la configuration standard d’un jeu vidéo c’est une joueuse face à son écran : Link est aussi un modèle de héros solitaire et ça n’a aucun sens que de lui coller 4-5 compagnons qui en plus ont exactement le même rôle que lui !

Il y a des jeux qui résolvent ça en donnant des rôles très différents aux PJ, ou des playbooks, mais je ne suis pas convaincu que ça fonctionne à chaque fois.

Bon, mais admettons. N’empêche, on pourrait pas sortir de cet automatisme ? Je vois plusieurs alternatives au traditionnel groupe de PJ :

• Moins de joueuses, déjà. Il y a de plus en plus de jeux qui assument de ne pouvoir être joués qu’à 2, ou éventuellement 3, parce qu’avec plus de personnages ça n’aurait plus de sens.

• Garder le même nombre de PJ, mais diviser en plusieurs groupes et alterner entre plusieurs histoires en parallèle. Je vois bien un jeu d’enquête dans lequel on suivrait deux duos de détectives, par exemple, ou un jeu de journalistes où les employés d’un même journal partiraient enquêter sur des trucs différents³…

• Garder le même nombre de joueuses, mais décider qu’elles n’incarnent pas toutes un PJ. Un des rares jeux publiés que je connaisse avec cette configuration, c’est Minuit pour toujours, mais je sais que Melville, Marc et moi-même nous tirons la bourre pour savoir qui va sortir en premier un jeu qui marche comme ça. Quel que soit læ gagnant.e, il y aura de la qualité !

Voilà, avis à toutes les personnes qui conçoivent des jeux, il y a encore bien des frontières à explorer…

Je ne savais pas trop de quoi j’allais parler dans le JDPP de cette semaine et puis en manif’ j’ai vu un camion dont le logo tournait sur lui-même et ça m’a rappelé un truc qu’on peut faire avec du papier, le thaumatrope !

Alors on peut en faire des un peu fancy comme celui-ci :

Mais c’est assez fastoche d’en fabriquer soi-même, et ça date pas d’hier ma bonne dame.

« OK super très bien mais tu vas faire quel jeu avec ? » Merci de ta question, Milouch-dans-ma-tête ! Eh bien je ne sais pas encore, mais je suis sûr qu’il y a moyen d’en faire quelque chose de chouette…

Sur ce, je te fais la bise et comme l’a sans doute dit John Ayrton Paris, see you in two weeks!