Exploration des Frontières

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octobre 8, 2025

On en fout partout

Ce courrier ne parle pas assez d'Anne Sylvestre

Chère Milouch,

Je t’écris de ma lassitude automnale, à la limite de la déprime saisonnière sauf que je suis trop fatigué de tout pour réellement déprimer. Dans les deux cas, on a envie de rester au lit toute la journée, tu me diras.

Mais bon, je ne suis pas là pour me désoler de l’état de vague geste de la main vers le monde entier mais pour te parler d’un de mes livres préférés : A HUMUMENT de Tom Phillips. Alors tu vois, mon gars Tom qui est artiste a décidé, bien avant Julian Torres, de choper un bouquin et de le recouvrir pour en faire de jolies choses. Ça donne, par exemple, ceci :

ou encore cela :

Mon fond d’écran depuis des années, très belle ref à James Joyce pour celleux qui connaissent

Sachant qu’en plus, le gars Tom, une fois qu’il a fait le tour une première fois de son bouquin source, il a décidé de recommencer jusqu’à avoir à nouveau recouvert toutes les pages, ce qui lui a pris 40 ans et 5 éditions, comme tout bon livre qui se respecte.

Et par rebond, tout ça me fait penser d’une part à Itras By, à nouveau : car figure-toi que c’est le seul ouvrage de jeu de rôle que je connaisse qui demande explicitement à son lecteur d’y rayer les trucs qu’on n’aime pas, et d’ajouter au stylo d’autres trucs dans ses pages. Bien sûr, je me doute que plein de barbares1 l’ont fait sans attendre l’autorisation, mais je trouve ça assez cool qu’un jeu t’y pousse consciemment, et un « gros jeu » qui plus est, pas un machin expérimental où tu dois déchirer le zine pour raconter quelque chose.

Et tant qu’à écrire partout avec l’autorisation des auteurs, pourquoi ne pas aller plus loin ? Pourquoi, en fait, ne pas déborder des frontières ?

Les Guérrillères de Monique Wittig : t’as même pas ouvert le bouquin qu’il a déjà commencé.

You Shall Know Our Velocity de Dave Eggers : là, on t’annonce carrément ce que contient le bouquin que tu t’apprêtes à lire.

J’avais déjà évoqué le sujet avec les jaquettes et autres flaps de livres mais j’adore les livres qui débordent de leur espace parallélépipédaire pour en mettre partout : en jeu de rôle, j’ai la même sensation avec les bouquins qui mettent des tables aléatoires, des cartes ou je ne sais quoi d’autres dans leurs pages de garde. Même sensation itou avec pas mal de tomes de De Cape et d’épée, où l’histoire commence (ou finit) dans les pages de garde, parce que les auteurs n’ont pas réussi à faire tenir leur récit dans les clous… Il y a quelque chose de libérateur à se dire que la forme qui avait été choisie pour le bouquin ne convenait pas tout à fait, qu’il a fallu tasser un peu pour que ça rentre.

C’est aussi, sans doute, parce que chez moi c’est la taille qui compte. Oui, la vue d’un pavé de 900 pages me fait frémir, comme la promesse d’une nouvelle montagne à gravir : je m’y lance avec joie et détermination, ravi de savoir que ça va me tenir un sacré moment, et aussi satisfait par cette promesse capitaliste un peu aigre que eh, j’en ai pour mon argent !
Mais à vrai dire j’ai l’impression que la plupart des rôlistes traditionnels sont d’accord avec moi puisque ce sont les gros pavés qui se vendent, les gammes avec des suppléments au kilomètre, là où l’on vante le nombre de personnages jouables, le nombre de pages, le grand format du bouquin, comme si tout ça était un gage de qualité. Il ne s’agit alors plus tant d’en foutre partout que d’en foutre beaucoup, sans trop se demander pourquoi, est-ce que c’est utile ; alors que bon, j’adore les tartines mais faut quand même qu’elles aient bon goût.

*********LJPP*********

Merci à Evlyn Moreau !

À propos d’en mettre absolument partout : j’ai visité l’autre jour le musée de la carte à jouer d’Issy, formidable lieu dont j’ai appris l’existence seulement récemment, et ça m’a rappelé à quel point la carte est un formidable support. Avec une série de bouts de cartons, tu peux faire un nombre de combinaisons absolument incroyable et inventer tous les jeux du monde : il suffit de varier un brin ce qui se trouve dessus et hop, tarot, jeu de 52, cartes à collectionner, tout est possible. Et en plus, c’est peu cher à produire puisque n’importe qui pourrait théoriquement en créer avec du papier cartonné ; dans les faits c’est rarement le cas mais ça demeure tout de même un des supports les plus accessibles, dès lors que tu n’essayes pas de le produire en masse.

Et puis bien sûr, tu peux écrire plein de trucs dessus ; cette page recense très bien la foultitude de trucs qu’on peut faire avec des cartes alors que c’était pas prévu pour, mes usages préférés étant ceux-ci :

Une liste de trucs à laver et une bonne question au dos de cartes à jouer

Non vraiment les cartes super, on peut s’arrêter là on trouvera pas mieux en termes ludiques.

À dans deux semaines,
Côme

PS. J’ai même pas pris le temps de parler d’Anne Sylvestre !! « Les gens qui doutent » est une chanson absolument formidable, et à vrai dire la discographie pour adultes d’Anne Sylvestre est bourrée de pépites… Une de mes prefs ça reste « Clémence en vacances » qui donne envie à son tour de tout envoyer se faire foutre et prendre de longues vacances… On en revient à la lassitude, après tout.


  1. Oui, j’ai ce trait paradoxal que j’adore les bouquins qui tordent les codes mais je frissonne en pensant aux gens qui cornent les pages des bouquins pour marquer leur lecture. Je te laisse déterminer à quel parti politique ça m’apparente. ↩

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