Le geste et l'objet
Moi, j'aime pas qu'on me jette des dès
Cher Côme, je t’écris depuis d’humble montagnes recouvertes de forêts jaunies tandis qu’à coté de moi meurt doucement un feu et que se répand l’odeur d’un café chaud.
J’ai beaucoup aimé tes réflexions sur la violence et tes multiples parenthèses ! Et je te rejoins tout à fait !
Je pense qu’il y a de vrais questions à se poser sur la représentation de la violence et m’est avis qu’une des clefs se trouve dans la réponse à la question : qui a le droit de faire violence ? Et qui est légitime à l’utiliser ?

Je sais que la philosophe Elsa Dorlin a pas mal travaillé sur cette question, j’aimerais bien la lire un de ces quatres.
Parce que moi aussi, la question de la violence (au sens general et dans son usage politique) me questionne. Et en même temps, je crois que je suis heureuse de vivre dans un monde suffisamment pacifié pour que ce questionement puisse avoir lieu. Un endroit où le nombre de meurtre est en diminution depuis plus de 50 ans entre autre. Cependant, cette baisse de la violence s’accompagne en même temps d’une confiscation très forte de la violence légitime par le pouvoir 1.
Je me demande aussi si il ne faut pas retourner la question et se demander pourquoi je n’éprouve pas la même empathie pour le stormtrooper sur lequel on tire au pistolaser que pour un flic ? A quel niveau de banalisation de la violence fictionnel somme nous rendus pour que tuer quelqu’un par l’intermédiaire d’un avatar puisse être un acte anodin ? D’ailleurs, je serais assez interessée par des jeux qui place en leur coeur la question de comment est vécu la violence par ses acteurs . M’est avis que Melville l’a déjà fait…
Attention, je ne dis pas que la violence en fiction c’est le mal absolu et il y a plein de chouette oeuvre qui partent dans l’ultra violence2, mais cette usage de la violence et la hiérarchie de l’empathie que tu pointe m’interroge comme toi.

D’autant plus (et la désolé je reviens à la dure réalité) que l’on assiste exactement à l’inverse de la généralisation de l’empathie dans la réalité. J’ai récemment vue (comme toi j’imagine) les vidéos des gendarmes qui sont intervenus sur Sainte Soline et c’est absolument terrible. Et là, la banalisation de la violence, la deshumanisation de l’ennemi, on la voit en direct. Je ne vous détaillerais pas les vidéos mais c’est absolument terrifiant. Et d’autant plus terrifiant que les personnes qui y agissent sont (dans l’ordre de la république) les détenteurs d’une violence légitime que nous (citoyens) leur concédons et que nous leur concédons dans un cadre spécifique. Cadre qui n’est absolument pas respecté par ces protagoniste dans ce que montre les vidéos en questions.
En ce sens, la remise de la violence auprès de ces me autorités pose vraiment question.
Beaucoup de questions que je ne vais pas trancher ni aujourd’hui ni dans cette infolettre mais sur lesquels, j’ai hate de te lire !
D’autant plus qu’il faut que je remette une buche dans mon feu pour ne pas qu’il meurt.

Parce que oui emmitouflée dans une ambiance automnale et la main entre le café et la buche, tout cela me donne envie de fuir la violence et de te parler du geste et de l’objet qui l’induit. Car en effet, si tu es devenue la cible de blague récurente sur faire un jeu qui se joue avec : “des tomates, une craie et des bottes taille 42” je te rejoint irrépréssiblement dans cette voie. J’ai récemment fais le tour de ma modeste ludographie et je n’ai strictement rien écrit qui se joue avec des dès. C’est un geste qui pour l’instant ne me parle pas et je vais vous expliquez un peu ma pensée sur le sujet (entrecoupé de pauses le temps de remettre une buche dans le feu).
Juste avant, je pose juste ici que Cendrone a fais un super article sur le geste roliste : https://www.cendrones.fr/cendrones/le-geste-roliste/ mais que le geste dont il parlait répondent à une définition beaucoup plus large du geste, la où moi je vais me concentrer sur le geste en tant que mouvement et sur son lien avec le matériel. Ouais ça fais déjà très article de théorie mais promis, je vais tenter de rester compréhensible.

En effet, quand j’ai commencé à écrire des jeux, j’étais très influencée par Trop long pas lu (ça je l’ai déjà dis) mais aussi par le jeu de société. Or dans le jeu de société, on adapte le matériel (et donc les geste associés) au jeu. Alors que dans le jdr, j’ai l’impression que l’on fais souvent l’inverse. En effet, souvent (sauf dans tes jeux et les miens) l’objet de base reste le dé et le geste de base est donc de le lancer.
Alors bien sur, il peut y avoir des exceptions. Ainsi on trouve quelques constante en jeu de societé : un plateau, des cartes, des pions… Mais ce ne sont jamais des constantes universelles. Et surtout, elles ne sont pas figées dans leur formes (le plateau peut représenter pleins de choses différentes, les cartes peuvent varier…


C’est donc avec ce genre d’idées que j’ai commencé à travailler et ça a donner des jeux comme Vagabonder dans les Etoiles ou l’on joue avec un plateau représentant une carte feroviaire des Etats Unis et des bouts de papier qu’on déplace. Ici, on avait donc des gestes spécifiques liés au matériel. On peut avoir le même genre de chose dans Dread et sa tour de Jenga ou dans les différents livret des chroniques de Sainte Clervie.

Puis après, j’ai commencé à échanger sur ces sujets avec Vivienne Feasson (autrice de superbe articles sur la grammaire du jdr) qui m’a fais me rendre compte que si il y avait un geste fais par les joueuses alors, ce geste devait avoir un sens dans la fiction. Si j’extrapole un peu et que j’y glisse mon interprétation, on pourrais dire que le geste réel (avec geste toujours utilisé ici au sens mouvement des mains, manipulation d’objet…) est une transcription du geste fictionnel et en ce sens, il est un point de contact entre le réel et la fiction. Ça me parait d’autant plus important que ce point de contact se fait alors au niveau d’une action. Donc d’une prise active dans la réalité et d’une prise narrative dans le récit. On est alors dans une posture active quand on fais ce geste même si geste réel et geste fictionnel peuvent être un peu décorrélés en terme de forme.
(un enfant du village d’à coté vient d’arriver pour jouer du piano à coté de mon feu)
Et ce lien dans le geste je le trouve très malaisé avec un lancer de dès.
En effet, le lancer de dès et un geste très éloigné de n’importe qu’elle autre que l’on pourrait faire dans la fiction (à part peut être jeter des cailloux).

De plus, lancer des dès c’est un geste universel du jeu de rôle. On le fait partout. Qu’elle est alors sa signifiance quand on le réalise pour embrasser son crush alors qu’on s’en est servi pour découper un ennemi en rondelle quelques heures auparavant ?
Je pense (sans plaider non plus pour des jeux avec des centaines de geste différents) que la singularité du geste relative à une action ou même relative à un jeu est essentielle.
Ces gestes singuliers peuvent aussi être le moyen de donner du poids à nos actions. Si il est possible de joindre ses mains en prières, d’embrasser ses dès avant de les lancer pour montrer la force de son action ou alors de les jeter de manière dédaigneuses, cela a pour moi moins d’impact comparé au moment où je décide d’embraser de flamme la figurine de cet enemi et ma propre fiche tandis que je nous emporte tous les deux dans le volcan…

Pour un exemple un peu plus personnel (et inscrit dans les règles), dans la Grive Noire, lorsque vient le Glas (un bouleversement irrémédiable du micro monde où l’on joue), les joueuses coupent un chapelet et en font tomber les perles sur le sol. Ce geste est irrémédiable en fiction et on marque son irrémédiabilité dans la réalité.
L’intérêt de ces gestes dont je parle c’est aussi qu’ils peuvent être présent dans le game design d’un jeu mais peuvent aussi être rajoutés sur ce dernier. De ce fait, il permettent d’ajouter plus de signifiance, plus de finesse au récit et à ce qui se passe sur la table.
Alors évidement, le problème d’avoir pleins de gestes c’est que ça peut un peu engendrer une surcharge de matériel, une surchage cognitive... Et c’est une critique tout à fait valable. Et face à cette critique, je n’ai pas grande chose à répondre mais peut être que dans quelque lettres, je trouverais une réponse de qualité à ce problème. Ou peut être as-tu des idées de ce qu’on pourrait retorquer à cette question ? Je suis très curieuse d’entendre ton avis sur ces questions !!
Comme toute réflexion, celle-ci est en mouvement et j’espère ne pas trop mettre égaré ni n’avoir trop dis de bêtise. Je précise que ces interprétations sont basés sur ma perception des choses et sur les idées qui me sont venus face à un feu dans une cuisinière tout ceci n’est que mal sourcé et surement assez mal embouché. Et désolé pour le léger retard, j’ai preferé prendre le temps de reflechir un peu à ce que je racontais avant de lancer ma missive. Même si j’ai respécté l’heure traditionnelle d’envoie ! Heure qui devrais vous donner quelques indices sur ma position quand à la première partie de cette lettre.
Si vous avez des remarques et des contradictions, je les prends et les lis avec plaisir!
Et sur ceux, je t’abandonne pour profiter de l’automne qui vient mourir sur ces flancs de montagnes et aller me promener un peu.
Ou vider le seau sur le tas de fumier.


Extrèmement stylé ces Flexagones !! Et heureux hasard, je suis moi aussi en train de plier du papier dans tous les sens (comme quoi, c’est dans l’air du temps).
Alors je te met ci-dessous la version réalisée par ma compagne qui est infiniment plus forte que moi, mais promis, j’ai réussi à en faire un et en collant plusieurs pliage ensemble comme tu vois, on obtient un petit livre très chouette !! Je vois bien un jeu autour de billet doux s’articuler la dessus !
En attendant, je vous salue tout plein et comme l’a surement dis Archinov : “ A dans deux semaines ! “
PS : j’ai encore plein de réponse à faire sur le post-apo et sur le combat flic vs journaliste mais ça fait peut être un peu trop pour une seule infolettre… J’en parlerais plus tard.