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juin 25, 2025

Des règles qui enferment, des règles qui ouvrent

De la politique, du game design et des easter eggs

Cher Côme,

Je t’écris dans la nuit (bientôt Louise Michel, bientôt).

Merci pour la reco de 1 jour / 1 question qui je vois a répondu à des interogations qu’on se pose nous aussi !

J’ai beaucoup aimé tes reflexions sur les collectifs qui naissent de la friction. Que ça soit celle liée à la résolution des jeux-vidéos de puzzle ou a des questions de production de jdr. Pour aller dans ce sens, je pense que c’est assez évident, mais j’aime bien le dire, chaque oeuvre qui sort est fondamentalement une oeuvre collective. Même si elle a un⋅e auteur⋅ice et bien, cet⋅te dernièr⋅e n’est jamais vraiment seul⋅e et au final, des relecteur⋅ice à l’imprimeur, c’est souvent tout un monde qui fais advenir un jeu (ou un livre) entre nos petites mains. Je pourrais partir très loin sur cette pente, mais j’avais envie de te parler d’un autre truc donc hop, je remise ça dans les brouillons des futures infolettre (oui, nous avons des brouillons de lettres et nous sommes très organisé⋅es) et je change de sujet (wooosh)

Et vu qu’on parle de collectif et de comment ils se créer, j’ai eue envie de parler un peu de comment ils peuvent fonctionner en jeu de rôle et ça m’a donné envie de toucher deux mots sur des règles qui enferment vs Les règles qui ouvrent.

Alors, règles qui ouvrent, règles qui enferment, qu’est ce que c’est que cette histoire de porte ?

Il y a quelques jours, j’ai entendue une réflexion sur un jeu qui explicitait comment empêcher les joueuses de faire quelque chose. Et ça n’est pas la première fois que j’entends ce genre de réflexion :

“Pourquoi vos joueurs comprennent tous de travers ?”

“Comment faire pour que vos joueurs n’aillent pas n’importe où ?…”

Sont des réflexions assez classiques dans le monde du jeu de rôle.

Et j’ai quelques soucis avec ces reflexions.

Déjà, parce que je crois moyennement à la coercition.

Emma Goldman dans le doute
Emma Goldman dans le doute

Mais aussi parce que le présupposé derrière ces réflexions me pose soucis.

En effet, j’ai l’impression qu’on suppose que les joueuses sont un ensemble inepte, pétri de contradiction et profondément chaotique (toute ressemblance avec la vision des français qu’à un gouvernant très connu est purement fortuite). Or, je crois que c’est une grosse erreur (tant d’un point de vue roliste que politique).

Etant joueuse moi même (oui, je suis très sourcée sociologiquement ce soir), je n’ai pas l’impression d’être particulièrement inepte mais je sais que ce que j’ai, c’est des envies. Des envies de narration, de types de règles, de performance de jeu… Et face à ça on met un ou des jeux.

Et souvent (si ce n’est tout le temps) tout se passera pour le mieux si le jeu répond à mes envies. Encore faut il qu’on me présente correctement ce que le jeu est. Que les choses soient claires et qu’on en me vende pas de la romance lesbienne si il n’y en a pas par exemple !! (toute ressemblance avec des faits réels est purement fortuite)

Sans vouloir te passer la brosse à reluire, je trouve que tes jeux sont très fort pour dire ce qu’ils sont. Pendant ce temps la dans le métro, c’est clair dès la minute où on pose les yeux dessus, idem pour Aventures à plumes et bien sur, celui qui fait ça de la manière la plus élegante, c’est ICI & MAINTENANT.

Mais si le jeu ne repond pas à mes attentes ? Ou si j’ai des envies que le jeu n’a pas prévu ?

Alors, deux possibilités

Poser des règles qui ferme.

Et la, ça va être le festival du game design coercitif.

Vos joueuses dévient du scénario : punissez les

Elles vont dans un endroit interdit : rendez ça chiant

Elles quitte les lieux que vous avez choisi pour votre jeu, faites souffrir leur perso…

Et bon, ben pas besoin de vous faire un dessin mais je trouve pas ça terrible. On peut essayer de maquiller ça dans des règles d’univers / dans des règles diégétiques mais la encore ça me parle pas des masses et j’ai l’impression qu’on en revient à une forme de game design de la coercition et ça m’embète un peu. Surtout que tout ça suppose que l’auteur.ice ou lea MJ sait ce qui est bien ou mal dans sa fiction. Il ou elle endosse alors le rôle de surveiller et punir

Un panoptique dans une prison. Pour plus de reflexion sur l'abolition des prisons : https://www.youtube.com/watch?v=BDEuoeb-rDU
Un panoptique dans une prison. Pour plus de reflexion sur l'abolition des prisons et sur surveiller et punir : https://www.youtube.com/watch?v=BDEuoeb-rDU

L’autre possibilité, se sont les règles “qui ouvrent”

Les règles qui ouvrent se sont pour moi des règles/ des systèmes… Qui ne seront pas coercitives vis à vis des joueuses et qui vont plutôt ouvrir leur champs des possibles dans une direction et juste ben laisser le reste des possibles réalisables, mais c’est pas pour ça que le jeu est construit.

Un peu comme un tournevis. Ça visse super bien les vis mais c’est pas ouf en tant que marteau. Cependant (détail important) quand tu utilise un tournevis en marteau, tu n’as pas la police de la boite à outils qui débarque.

Bon, je sens que je vous ais un peu perdu⋅es et Côme, je vois que tu as déjà écrit 12 jeux (dont trois sur les tounevis-marteaux) depuis le début de cette infolettre. Je vais donc recentrer avec un exemple. Et non des moindres !

Bois Dormant vivre avec les ronces de Melville sorti chez Dystopia

La couverture de Bois Dormant vivre avec les ronces. je pense qu'on peut faire des liens entre Bois dormant et Murray Boochkin mais je veux pas trop m'avancer : https://www.youtube.com/watch?v=lV4U5oY9XBc
La couverture de Bois Dormant

Alors oui, je sais que c’est mon exemple pour pleins de trucs, mais c’est juste un banger interstellaire !

Alors donc, dans Bois Dormant, on joue une communauté pacifique. Et ça c’est un gros “interdit” pour le jeu de rôle. Alors comment Melville fait el pour que les joueuses ne fasse pas “““n’importe quoi””” ?
Et bien

1-(Unu) : elle pose les choses sur la table ça doit être écrit au moins 2 ou 3 fois dans les règles que notre commu est non violente

2-(Du) : Il n’y a pas de règle pour gérer le combat. Donc bon ben si vous voulez vous battre le jeu n’est pas le bon outil (le tournevis-marteau…)

3-(Tri) : Les personnages sont écrit dans une direction non-violente.

4-(kvar) : El ne pose pas de coercition forte du genre : “si vous êtes violent⋅es, tout les membres de communauté vont vous réjeter…”

Et hop, voilà comment gérer un ““interdit”” sans coercition (et en plus, maintenant vous savez compter en esperanto)

Pour citer Melville : “J'ai pas interdit le plat, je l'ai juste pas mis au buffet.”

De même dans Bois dormant, on joue dans une ville sous blocus et bien ce blocus, il va être incarné par une joueuse. Et je dis bien incarné et non pas placé dans le marbre des règles. Et je trouve que la encore, c’est un moyen intéressant de gérer un “interdit”

Bref, j’ai déjà trop parlé et tout le monde est déjà partie sur la chaine de minutes rouges (si j’ai bien fait mon taff) donc je lance :

Le jeu du papier plié

Ok alors la Côme tu as vraiment mis la barre super haute avec ton papier litérallement plié !

Donc je n’ai d’autres chois que de tricher !!

Et oui, hop, aujourd’hui, je saute sur le coté et je triche avec cette petite brochure

La brochure sensible à la typographie de Hector Obalk

C’est la retranscription d’une conférence donnée sur la typographie par Hector Obalk et sur ce qu’il y a de chouette à voir dans le dessin des lettres. C’est de l’intro, mais de la bonne intro

Ça parle de typographie mais ça en parle tellement bien, avec tellement de passion (le mec passe 5 minutes sur l’angle d’un t) ! Et surtout de manière super accessible donc j’ai tout compris ! C’est trop bien, j’avais trop envie d’en parler donc pardonnez moi cette petite incartade !!

J’espère ne pas avoir trop dis de bétises, je vous salue tout plein et comme l’a surement dis Gramsci : “Ah dans deux semaines !”

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