De bien beaux bouquins
C'est les vacances, on lance plein de pistes et on n'en suit aucune à son terme
Chère Milouch, je t’écris de chez ma mère. Chaque été, je prends le train vers le sud, long pèlerinage qui me permet d’aller voir ma mère qui habite loin1 et de passer quelques jours à oublier que je suis à présent un adulte avec des responsabilités. Il y a quelques années le périple était pénible parce qu’occuper ma toute jeune fille pendant des heures dans le train était une galère, à présent c’est plutôt parce que le spectre des dissensions familiales plane sur les dialogues que nous n’avons pas, tout change.

Nonobstant ces nuages parfois lourds à l’horizon, ça me permet de changer d’air, d’aller voir ailleurs (clin d’œil clin d’œil) et de redécouvrir les quelques vieilles BD de mon adolescence que ma mère a conservées, et les dizaines d’albums pour enfants.
Et tu as bien raison d’observer que la littérature jeunesse est mille fois plus inventive que celle pour adulte sur le plan matériel : pour une Maison des feuilles, une centaine d’albums avec des pages à déplier ; pour un Kapow!, un millier de bouquins avec des petites tirettes et autres machins à faire pivoter.

Et pourquoi ça, me diras-tu ? Me direz-vous ? En tout cas je me le suis dit. J’ai pas de réponse factuelle, mais tout à l’heure en faisant la sieste (tu vois qu’on est à l’apex de la recherche intellectuelle) je me suis aussi dit que c’était parce que les jeunes enfants ne sachant pas encore lire, autant leur mettre sous le nez des objets sympas à manipuler… En d’autres termes, on apprend aux enfants très tôt qu’un livre c’est méga-cool, avant même qu’iels comprennent que ça contient du texte qui muscle l’imagination. D’où la présence abondante d’illustrations et de bidules plus ou moins expérimentaux, qui donnent des livres un peu chers mais pas tant que ça car ils sont courts2.
Et je ne peux m’empêcher de relier cette pensée à ce qu’on s’est déjà dit sur le fait que les rôlistes ne vont pas jouer à la grande majorité des livres de jeu qu’ils achètent, se contentant de les ranger dans la bibliothèque du « un jour peut-être ». Et ces bouquins jamais finis d’utiliser, on aurait pu s’inspirer des livres jeunesse ou des livres d’art pour en faire, a minima, des objets chouettes à regarder et manipuler… Mais non, on s’est plutôt inspiré de dictionnaires et de manuels techniques super moches et rébarbatifs. Enfin, sauf chez les indés où on a la classe évidemment (emoji lunettes de soleil).
Bon mais sinon je voulais revenir là-dessus :

Ton idée de 4 bouquins qui se complètent visuellement est bien entendu GÉNIALE. Ça me fait penser à un projet de Melville du même genre, avec un jeu dont les infos sont distribuées en quatre carnets ; ça me fait aussi penser aux jeux de rôle d’il y a bien longtemps, commercialisés sous forme de boîtes où l’on trouvait de tout, y compris du matériel de jeu en plusieurs brochures. Parfois on y trouvait aussi des cartes, des machins à faire tourner et des marionettes à doigt, mais je m’égare.

Et puisqu’il s’agit d’aller voir ailleurs, ça me fait aussi penser au prochain livre de Jason Shiga, The Box, qui permettra de combiner deux livres pour explorer deux récits en parallèle. C’est très compliqué à décrire mais j’ai vu des vidéos de la chose et ça va être totalement fou. D’ailleurs ça ira voir ailleurs puisque c’est un livre qui fonctionnera comme un ordinateur, mais je sens que je t’en reparlerai itou !

Voilà, c’est parti un peu dans tous les sens et c’était pas très développé mais c’est les vacances et presque l’heure de faire les crêpes, du coup c’est permis je crois !
LJPP™ (Le Jeu du Papier Plié)
Alors ça tombe bien que tu me parles de livre imprimé sur du papier mou (quelle dinguerie) car je suis allé il y a quelques temps visiter le village construit par Chomo, artiste d’art brut, au milieu de la forêt de Fontainebleau. Dans cet ensemble de maisons bâties avec des bouteilles vides et autres matériaux instables, il y a une petite église, et dans cette église un gros livre :

Je n’ai pas eu la présence d’esprit d’en photographier l’intérieur mais à partir de sa reliure tu devines peut-être que ce n’est pas du tout un livre ordinaire mais un échantilloneur de papier peint, du genre comme ça :

Un livre on ne peut plus artisanal, donc, fait à partir d’un autre livre qui n’est pas fait pour être un livre mais une projection de ce que tu pourrais coller sur tes murs…