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septembre 24, 2025

Ce que je n'ai pas écrit

Et pourtant j'ai essayé de me restreindre sur mon autopromo !

Chère Milouch,

Je t’écris, et c’est déjà pas mal, car j’aurais pu ne pas t’envoyer ce mail : parce que je suis fatigué et que j’ai beaucoup trop de trucs à faire, comme chaque début de mois de septembre (en écrivant ces mots je me rends compte qu’on est déjà le 22, au secours), parce que je n’ai pas d’inspiration pour te répondre, ou parce que j’ai eu un problème technique qui a tout effacé… Mais je t’écris ; pas à la main, malgré mon amour pour l’écriture manuscrite qui me fait aimer, moi aussi, les brouillons et autres carnets de notes. J’ai comme toi une fascination pour les brouillons et autres textes mille fois raturés, qui ne parlent souvent qu’à leur auteurice et nous laissent, nous simples spectateurices, apprécier une poésie qui nous dépasse un peu.

Ici une liste de mots utilisés par James Joyce dans Ulysses et Finnegans Wake

Bon, James Joyce c’était un peu un relou, il allait à l’imprimeur pour corriger les pages qui sortaient des machines, et ça devait pas être de la tarte pour les reprendre après.

Magnifique / cauchemardesque

En tous les cas, je n’ai pas ta discipline et ça fait un moment que je ne conserve pas les différentes versions numériques de mes jeux, au grand dam sans doute de mes futurs biographes. En revanche, comme la plupart de mes jeux commencent avec des notes manuscrites dans un carnet, on peut toujours avoir accès à ça… Il y a peut-être des leçons à en tirer en termes de game design, c’est sûr ; tout comme j’aime bien lire à la fin d’un jeu ce qui l’a inspiré, se rendre compte de là d’où on est parti.e et là où l’on est arrivé.e peut toujours être instructif. Et au pire, on pourra toujours se pâmer devant des instructions incompréhensibles.

Mais je crois que tout cela n’est qu’un petit bout d’iceberg et qu’il faudrait parler aussi de tout ce qu’on n’écrit pas. J’imagine que toi aussi tu as une liste de projets / brouillons / envies longue comme le bras mais que, pour diverses raisons, tu ne les mènes pas à bien ? D’abord parce qu’il n’y a que 24 heures dans une journée, et développer toutes les petites idées qui nous traînent dans la tête relèverait du miracle, mais aussi parce que certaines idées ne gagneraient pas forcément à être développées…
Au fil du temps, c’est devenu une blague que de dire que je crée des jeux avec des sytèmes bizarres et dès que quelqu’un lance, pour blaguer, « Oh tiens on pourrait faire un jeu qui se joue avec des tomates, une craie et des bottes taille 42 » (par exemple) quelqu’un va répondre « Arrête, ça va donner une idée à Côme ». Rien de tout ça n’est entièrement faux, et j’ai déjà créé des jeux avec moins que ça, mais j’ai un principe qui rejoint celui de prendre son temps dont on parlait l’autre jour : il faut que l’idée, même à la con, se niche dans mon cerveau, me revienne encore et encore en tête pour que voie si c’est intéressant d’en faire quelque chose. Sinon, je la mets de côté, quitte à ce qu’elle ressurgisse plus tard1…

Et ça, souvent, c’est par surprise. Le jeu que je n’ai pas écrit a pris la poussière, il en demeure seulement une phrase écrite au crayon dans mes carnets, et puis un jour il revient par surprise, libéré par on ne sait quel mécanisme des limons de ma mémoire. C’est comme ça qu’un jour, en faisant à pied le trajet entre le métro et le lycée, une idée que j’avais mise de côté depuis 2 ou 3 ans a bondi d’un seul coup, presque entièrement formée ; le temps d’arriver au boulot, j’avais en tête un jeu quasi complet, qu’il m’a suffit de remplir avec quelques listes aléatoires ensuite.

Parce que mon souci, c’est que j’ai beaucoup de mal à abandonner mes idées. J’ai sans doute désormais trop de projets en cours pour que cet adage soit encore tout à fait valable, mais pendant longtemps je me suis dit que la moindre idée qui allait au-delà de 2 lignes, j’allais tâcher de la mener à son terme, confiant que j’étais de pouvoir créer un jeu petit format en 1 ou 2 semaines. Jusqu’ici, ça s’est plutôt vérifié, mais il y a l’autre souci, celui des petits projets qui gonflent et deviennent soudain quelque chose de démesuré sans l’avoir prévu au départ…

Alors du coup, un musée des brouillons, pourquoi pas, mais est-ce qu’on y inclut une salles des jeux qu’on n’aura pas écrits ?

⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⣠⣄⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⣀⣴⣾⣿⣿⣷⣦⣀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⣤⣤⣶⣾⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣷⣶⣤⣤⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⣿⣿⣿⣿⣿⣿L⣿J⣿P⣿P⣿⣿⣿⣿⣿⣿⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⢹⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⡏⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠘⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⠃⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⢹⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⡏⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⢻⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⡟⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠻⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⠟⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠹⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⣿⠏⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠙⣿⣿⣿⣿⣿⣿⠋⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠈⠻⣿⣿⠟⠁⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠙⠋⠀⠀

Alors déjà, pour répondre à ta missive : j’étais au courant de l’existence première d’Itras By en norvégien, d’autant que j’ai eu la chance de discuter plusieurs fois avec l’un des ses auteurs, très sympathique, au moment de la sortie de Pendant ce temps, dans le métro (dont la première version - que j’ai gardée ! - était un supplément de fan à Itras By…). Mais ta réflexion est très intéressante, et elle me fait penser à cet exercice de pensée dont je ne retrouve plus l’origine : se demander à quoi ressemblerait le jeu de rôle aujourd’hui si, au lieu d’aller piocher ses racines dans le wargame, il se serait par exemple inspiré des mondes imaginaires des soeurs Brontë…

Bon mais sinon, un jeu de rôle avec des filigranes, ce serait absolument incroyable ! Ça me fait penser, par association d’idées, à ces méthodes de cacher des messages secrets dans des lettres apparemment anodines qu’on s’envoyait gamin.es, tu sais par exemple le coup du jus de citron pour écrire à l’encre invisible, ce genre de choses ?
Je ne crois pas que ça ait déjà été fait ; le seul jeu avec du contenu vraiment caché que je connaisse, c’est Yazeba’s Bed & Breakfast, avec des chapitres pas présents dans la table des matières mais surtout un personnage caché dans sa jaquette ! Si tu en connais d’autres, ou si nos aimables lecteurices ont des refs, ça m’intéresse grave.

Et puis évidemment, qui dit filigrane dit transparents… On a déjà parlé de papier transparent, qu’il soit calque ou de couleur, entre nous, mais pas dans ces missives, n’est-ce pas ?
Avec le papier calque, on peut faire des trucs très chouettes de superposition, je l’ai moi-même testé avec Le Détour et le retour2 :

Deux fois le même récit, avec une version se superposant à l’autre…

…donnant à lire une version alternative de l’histoire.

Et puis bien sûr, on peut jouer avec les couleurs :

Extrait du formidable recueil Polychrome des Éditions Polystyrène

Ce qui, en jeu de rôle, mène des zozos à faire des choses comme celle-ci3 :

Version bleue…

…et version rouge. J’espère que vous avez de bons yeux, ou de bons filtres, car oui il y a des choses au-dessus du texte en bas !

Quant à l’usage du papier calque, il y aurait tant de choses à faire avec, mon dieu… Ça ouvrirait la porte à des textes potentiellement évolutifs, ou bien des feuilles de calque déjà annotées qui mettent en valeur certains mots ou phrases ?
Pour avoir trempé le petit doigt dans la question, en plus, ce n’est pas si compliqué ou cher niveau production. À bon entendeur…

Sur ce, n’oublie pas que bleu sur rouge rien ne bouge mais rouge sur bleu c’est le jeu, et à dans deux semaines !


  1. Il y a une exception à ça, qui est les jeux créés pour une jam ou une contrainte précise ; dans ce cas, je vais souvent me jeter dans le vide avec pas grand chose et voir où ça me mène en cours de route. ↩

  2. Récit dont je n’ai d’ailleurs pas écrit la suite… Pour l’instant, car cette idée pourrait bien refleurir, qui sait ? ↩

  3. Jeu que j’ai bel et bien écrit, puisqu’on peut le voir ici, mais jamais publié… Ça aussi, il faudrait en parler… ↩

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