Apprendre à écrire
Prendre son temps et apprécier la beauté.
Chère Milouch,
Je t’écris de mon ordinateur ; ça peut paraître banal mais pas vraiment car actuellement mon écran d’ordinateur ressemble à ça :

C’est pas la première fois que mon antique1 machine me fait le coup, mais jusqu’ici ça avait vite disparu et là non. J’aurais dû voir les signes… J’ai commandé une nouvelle machine (et tant qu’à faire un truc non-GAFAM) mais ça va prendre un peu de temps à arriver, donc en attendant j’écris ce fichier en voyant à moitié ce que je fais, sans orient de possibilité pour la correction.
Ça me donne un peu l’impression d’écrire à la machine, ce que j’ai déjà fait dans le passé, principalement pour du jeu de rôle d’ailleurs : j’ai un joli engin des années 60 qui prend la poussière à la cave et que j’avais utilisé pour jouer à Sur la route de Chrysopée, un jeu par correspondance, et pour taper des cartes pour Itras By. Dans les deux cas, c’est venu avec plein de sensations chouettes : la nécessité d’un vrai effort physique pour imprimer un caractère sur la feuille (enfin ça demande pas non plus de suer comme un âne, mais la sensation des touches sous les doigts devient sensiblement différente de celle d’un ordinateur, et je te parle même pas du clavier tactile des tablettes et téléphones) ; la nécessité de prendre en compte le nombre de caractères qui tiennent sur une ligne, histoire d’éviter des césures syntaxicalement interdites (que tu dois bien entendu faire à la main, aucun programme ne les insère pour toi ; j’imagine que j’aurais pu en tracer certaines au crayon) ; cette petite manipulation du rouleau pour faire descendre la feuille, le son des touches et le petit « ding ! » du retour à la ligne, la feuille légèrement perforée lorsqu’un caractère vient s’écraser trop vite dessus, la galère de changer les bobines d’encre… Bon OK, ce dernier aspect me manque moins.
Il y a bien entendu quelque chose de romantico-nostalgique dans tout cela, car travailler à l’ordinateur est tout de même mille fois plus pratique (saufmême quand son écran est cassé). Mais, au-delà de tout ça, apprendre à écrire2 à la machine m’a appris autre chose, c’est de savoir prendre mon temps en écrivant.
C’est quelque chose qui me manque, de façon générale, cette prise de temps. Prendre son temps pour réfléchir, accepter que parfois va venir s’insinuer l’ennui dans nos phases de travail ou nos déplacements quotidiens ; ne pas se sentir frustré quand on n’a pas la réponse à une interrogation ou un problème là, tout de suite, maintenant ; prendre le temps de réfléchir, d’aller marcher un peu, de laisser du temps au processus intellectuel3.
C’est pour la même raison que je tiens à toujours développer mes idées d’abord dans un petit carnet ; parce que c’est plus facile de faire des schémas avec un stylo qu’avec un clavier d’ordinateur, mais aussi parce que je tape bien plus vite que je n’écris à la main et que cette dernière solution me pousse donc à ralentir et à réfléchir à ce que j’écris (sans parler du fait que, quand je recopie tout ça sur ordinateur, ça me donne un premier recul sur mes idées). Bon, là aussi c’est moins arrangeant parfois, par exemple quand tu oublies le carnet dont tu avais besoin avant de partir en vacances, comme c’est mon cas là tout de suite maintenant… Ou pire, quand tu le perds dans les transports, comme ça m’est arrivé récemment avec un petit carnet plein de crobards. Il est noir à couverture souple, si jamais vous tombez dessus…
Voilà, c’est à mon tour d’enfoncer des ports ouvertes avec mes réflexions de boomer mais il fallait binen que je trouve un truc pour commencer à répondre à ta lettre qui m’a émerveillé les yeux tout au long de ma lecture, et clairement je ne peux pas rivaliser avec tant de beauté. D’ailleurs je me suis retenu de parler des IA génératives pour ce qui est de ne plus faire d’efforts pour obtnenir un truc (plat) mais c’est difficile de ne pas y penser niveau illustration (plates), y compris et surtout de couverture. Ce n’est pas à toi que je vais apprendre qu’il y a un vrai problème avec les couvertures de jeu de rôle, voire les couvertures de jeux tout court (je range les jeux de société là-dedans) : même quand ça été fait par des humains, ça témoigne souvent d’un imaginaire bien étriqué, et c’est tellement triste, surtout quand on compare ça aux couvertures que tu montrais et qui ne sont pas du tout l’apanage de la grande littérature : il n’y a qu’à voir comment la maison d’édition Penguin, par exemple, réinvente des vieux trucs poussiéreux, y compris de la littérature de gare !





Franchement moi je rêverais de voir des couvertures aussi originales en jeu de r… MAIS ATTENDS ÇA EXISTE !
Eh oui, plot twist, des personnes de bon gout ont déjà produit ce genre de choses et pas que sur le stand des Rayon alternatif ! Par contre, sans trop de surprise, ça se trouve surtout du côté anglophone :





Je suis allé chercher tout ça sur la fabuleuse infolettre Explorer’s Design de Clayton Notestine, une source inépuisable de beauté graphique ! Tu noteras d’ailleurs qu’il ne s’agit que de jeux de la scène indépendante ; on dirait bien que contrairement à la littérature, le mainstream ludique ne s’est pas encore emparé de cette pratique, alors que ça attire tellement plus l’œil que ce genre de machins…



Ah oui, une dernière chose (est-ce que je suis trop long ? J’ai aucun moyen de remonter en arrière pour voir si j’ai déjà écrit beaucoup donc disons que tu es en vacances et que tu a le temps pour lire mes sauts de puce d’un sujet à l’autre) : ce truc de lire les livres d’un bloc ? Ben je suis incapablde faire autrement. La Bible ? Je l’ai lue du début à la fin. La Lutte et les rêves ? Du début à la fin (enfin c’est en cours mais je l’ai commencé à la page 1 et j’en ai sauté aucune). La Maison des feuilles ? Du début à la fin, en mettant un point d’honneur à lire tous les mots de la moindre note de bas de page juste là pour occuper de l’espace. Tous ces livres, différentes personnes m’ont dit qu’il ne fallait pas les lire d’un bloc en continu mais picorer dedans… Eh bien j’en suis parfaitement incapable, et c’est la même chose pour les bouquins de jeu4. C’est sans doute pour ça que j’ai tant de mal avec les gros bouquin de JdR traditionalismes ? Parce que je me sens obligé d’y lire tout et que la plupart du temps c’est quand même assez chiant ? Qu’en pensez-vous, docteure Milouch ?
\~* LJDPP *~/
Pour écrire cette partie de ma lettre j’ai attendu d’être chez-moi, pour pouvoir brancher mon ordinateur à un vidéo projecteur, ce qui n’est pas la façon la plus pratique de travailler mais on fait avec ce qu’on a. Et puis au moins ça me permet d’afficher en grand ces exemples de rabats !
Oui parce qu’en relisant ta lettre je me suis aperçu que s’il y avait bien un exemple de pliage du papier qui a la classe, c’est celui du rabat. C’est un peu une façon de signaler qu’on a en main un livre stylé, ou en tout cas qui appartient à une autre catégorie que ces livres en poche à couverture souple, ce truc de pauvres, là.
Alors traditionnellement sur un rabat en début de livre tu as la biographie de l’auteur ice, sur celui en fin de livre un résumé du récit (parfois c’est l’inverse) mais tu as déjà montré des exemples de bouquins qui faisant les choses différemment, alors je me contenterai d’en mettre deux :


Là, si j’étais vraiment un boomer, je ferais une blague sur le mot de « rabat », en disant que je referme ici ma lettre ou quelque chose comme ça. Mais je suis quelqu’un d’éminemment bath et top branché donc je ne le ferai pas et me contenterai de te dire à dans deux semaines !
Côme
C’est-à-dire qu’il s’agit d’un ordinateur que j’ai acheté il y a 5 ans et qui avait déjà 5 ans à l’époque. Mon portable précédent, je l’ai aussi gardé 10 ans, je trouve que c’est une bonne moyenne même si évidemment j’aimerais bien garder ces machines plus longtemps, vu la quasi impossibilité de les recycler… ↩
TITLE DROP! ↩
J’ai plusieurs fois lu des gens créatifs dire que quand iels faisaient face à un problème compliqué, iels allaient marcher un peu dans leur quartier ; je ne vais pas jusque là mais je suis convaincu qu’il y a quelque chose d’un peu magique dans la marche, que ça débloque des trucs dans notre cerveau qui doit se concentrer sur des choses très physiques. Alors parfois, quand je suis bloqué sur quelque chose, je fais les cent pas dans mon salon, parfois même en marmonnant à voix haute un récapitulatif de où j’en suis ; ben figure-toi que ça marche. Bon, je ne le fais que quand je suis tout seul à la maison pour que les femmes qui partagent ma vie ne me regardent pas de travers. ↩
Enfin, pour être honnête, souvent j’y survole les passages moins intéressants, notamment parce que j’ai une compote à produire hebdomadairement et donc pas trop le temps de me taper 632 pages intégrales. Aussi parce que, la plupart du temps, je sais qu’il s’agit de jeux qauxquels je ne jouerai pas, et que si j’y joue je relirai les passages dont j’ai besoin. Donc je triche un peu, ce qui me permet sans doute d’être moins névrosé sur ce point, même si l’usage du mot « tricher » dans cette phrase te dit sans doute tout ce que tu as besoin de savoir sur ce sujet. ↩