Exploration des Frontières

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novembre 19, 2025

Aimer perdre

Où l'on convoque les souvenirs et les copaines

Chère Milouch,

je t’écris depuis mon salon où, clairement, j’aurais bien besoin d’un feu vu la panne de radiateur que je subis depuis quelques semaines. Parce que pardon mais MEUF, t’as un moyen de faire du feu dans ta CUISINIÈRE ?? Je vois difficilement comment faire plus stylé !!

C’est un très bon rebond sur mes réflexions que de se demander pourquoi tuer un stormtrooper, ou un gobelin, ou n’importe quel avatar du « méchant » est OK dans une fiction, qu’elle soit vidéo, rôliste ou autre. Ça produit une bonne blague dans Austin Powers, d’ailleurs (attention, cri très fort en début de vidéo) :

On pourrait prendre cette blague au sérieux et parler un peu plus de la violence (et donc, parfois, de la mort) comme de quelque chose de sérieux et de potentiellement traumatisant en jeu de rôle. Note que je comprends tout à fait pourquoi on ne le fait pas : on n’a pas toujours envie de transformer un jeu d’action épique en séance de psychodrame collectif, et, une fois encore, il y a parfois quelque chose de défoulatoire à pouvoir taper sur la gueule de méchants quand on ne peut pas le faire dans la réalité. Note aussi que je ne suis pas en train de tenir le même discours que celleux qui disent « gneugneugneu les jeux rendent violents » : non, je crois comme tu le soulignes que la violence, on se la prend tous les jours, mais pas par ce biais-là.

Et c’est intéressant ce que tu écris sur la violence légitime, et le fait de remettre la légitimité de la violence dans la main des autorités : je pense que c’est précisément pour cela que je n’arrive plus à trouver les fictions qui nous font incarner des flics intéressante, parce que je ne peux plus accorder de l’empathie à un corps de métier qui, dans son ensemble et de façon systémique, ne fait pas preuve d’empathie envers son prochain.

Alors qu’encore une fois, l’empathie ce serait précisément à mes yeux ce que la figure de la journaliste (cellui qui mérite sa carte, hein, pas le passe-plat de CNews) pourrait incarner, il me semble que Julien Pouard le démontre bien dans son jeu à venir Radio Ciel Vert. Et puis on peut tout à fait s’en servir pour mettre en scène des aventures hautes en couleur, mais je n’en parle pas plus car tout cela, sans surprise, a fait naître une idée de jeu en moi !

Mon but, écrire quelque chose dans ce style mais sans le racisme et le sexisme gênants

Oui oui, encore un nouveau jeu mais (à ce stade de mes réflexions en tout cas) j’ai envie de mettre des dés dans celui-là. Car en effet, je suis d’accord avec toi, le dé c’est un peu la céréale molle du jeu de rôle : ça fait un peu trop longtemps qu’elle est là, c’est pas encore inmangeable mais bon, y a mieux1.

De façon générale, je n’aime pas quand j’écris un jeu faire quelque chose qui s’est déjà fait, ce qui n’est pas évident au bout de presque une centaine de jeux ; mais, contrairement à toi j’ai l’impression, ce n’est pas par intérêt du geste. En fait, en regardant un peu en arrière, le seul jeu que j’ai écrit dans lequel il y a un geste un peu intéressant, c’est un machin qui parle d’univers parallèles dans lequel le multivers est représenté par un jeu de Mikado : si tu les fais bouger en en retirant, c’est pas bon. Je me souviens d’ailleurs d’un test de ce jeu dans lequel une joueuse qui se reconnaîtra a dû retirer touuuuuut doucement un bâtonnent de Mikado pour savoir si elle parvenait à extraire une balle du bras de son double blessé : parfaite adéquation du geste de la joueuse et de la fiction, mais c’est une occurrence bien rare.

Je n’aime que modérément les dés parce que comme tu le dis ils ont été surexploités en jeu de rôle, et on voit bien comment leur plasticité peut aboutir à des trucs intéressants mais aussi des choses tièdes comme la tasse de thé à côté de moi, par exemple avec les moves des jeux inspirés par Apocalypse World, qui finissent par tous se ressembler alors qu’ils amènent des choses différentes en fiction, comme tu le dis. De toute façon, la carte à jouer me paraît un objet mille fois plus intéressant… Néanmoins, un truc pour lesquels les dés peuvent être intéressants, c’est qu’ils introduisent tout de même une logique intéressante de hasard, c’est même leur but premier : et qui dit hasard dit réussite ou échec potentiel à une action donnée.

Quel beau ravin ! Et si on sautait dedans ?

Il y a bien des années, quand j’étais encore tout à fait immergé dans le jeu de rôle tradi, un de mes joueurs, lors d’une partie de L’Appel de Cthulhu, s’est saisi des dés pour les lancer alors que moi, le MJ, je ne lui avais rien demandé.

« Ben, tu fais quoi ?
— Je lance les dés pour voir si avec le stress je laisse tomber mon flingue… Ah ben oui tiens, me voilà désarmé. »

Ce jour-là j’ai compris que des gens aimaient bien se mettre dans la mouise ; ça mettrait encore un peu de temps pour que je m’adonne également à ce plaisir, que ce soit avec des jeux qui sont centrés là-dessus, comme Fiasco, ou pas.

Et du coup je serais assez tenté de faire une classification sauvage, là, hop, entre la prise de risque volontaire pouvant amener à l’échec comme dans l’exemple ci-dessus (l’attrait pour le risque) et le fait de sauter à deux pieds dans le ravin, c’est-à-dire décider que la situation s’aggrave sans même forcément avoir recours à un quelconque système de jeu (l’attrait pour l’échec).

Et ce que je me demande, c’est à quel point ce plaisir de « jouer pour perdre » (pour aller vite) est propre au jeu de rôle : bien sûr qu’on peut faire n’importe quoi pour planter une partie de jeu de société, qu’on peut être tout à fait content de jouer une nullosse dans un jeu vidéo, mais j’ai l’impression que le jeu de rôle non seulement permet mais en plus peut trouver des façons d’encourager cette attitude. C’est, je crois, ce qu’Eugénie évoque brillamment avec sa série sur la concession en JdR.

Cette spécificité, ça s’explique sans doute par le fait que peu d’autres jeux nous proposent d’incarner des rôles divers autour d’une table, souvent des personnages, et qu’il n’y a que rarement des conditions de victoire et d’échec pures dans un jeu de rôle (peut-être seulement dans les jeux d’enquête, et encore). De toute façon, je ne suis pas en train de chercher en quoi le jeu de rôle c’est trop unique : peut-être qu’en fait, pour boucler avec ce que je disais au début de cette lettre, ce qui est chouette avec le jeu de rôle c’est qu’il offre un safe space dans lequel on peut se mettre en position d’infériorité ou de faiblesse sans en subir les conséquences réelles ?

Un lion de livre avec écrit LJDPP au dessus
Graou !

Inutile de te dire à quel point je suis emballé par cette idée de jeu sur des billets doux avec de tels pliages ! Vraiment très stylé, je pensais qu’il n’y aurait qu’un dépliage et bim, un deuxième, quelle classe.

Eh bien moi, je vais allier mon amour du pliage et ma réhabilitation du dé pour te parler de productions que j’ai récemment découvertes aux éditions Volumique !

Une vidéo étant le plus simple pour décrire la chose, voici :

Le concept est proprement génial et les éditions Volumique portent bien leur nom ! J’aime particulièrement l’idée de se servir du contenant du jeu comme d’un dé géant à lancer pour jouer. Bon, faut bien avouer que sur le plan ludique, d’après la partie que j’ai pu faire avec ma fille, c’est pas ouf, mais en un sens tant mieux, ça veut dire que le concept peut être creusé…

En attendant, je te fais une bise et comme l’a sans doute dit Christian Bök : « À dans 2 semaines ! »


  1. Y a mieux comme métaphore aussi, mais j’écris tout cela à l’heure du goûter, tu m’excuseras. ↩

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