La compote de Côme #236 - du dimanche 3 août au dimanche 10
De la violence, de la force et des lapins.
Jeux de rôles

Despair Dilemma - Il y a quelque chose d’élégant dans une fiction qui tourne autour d’un Death Game, Squid Game étant l’exemple le plus populaire (et le plus traité dans cette compote) du genre : on se fait plaisir avec de la violence cinématographique qui fait appel à nos bas indistincts, avec en prime une critique sociale, souvent pour dire que le capitalisme c’est mal. Ce n’est pas exactement ce que propose Despair Dilemma, malheureusement : l’appel au bas instinct est bien présent mais point de justification idéologique ici, on aime bien tuer des gens et c’est tout. J’en ai déjà parlé vis-à-vis de Hotline Miami, la violence gratuite me met bien plus mal à l’aise ces dernières années et DD n’échappe pas à ce ressenti ; ce qui ne veut pas dire que le jeu est mauvais, loin de là, il fourmille même d’idées tout à fait neuves, par exemple le fait qu’on y incarne moins des personnages que des principes du genre (la cruauté de l’organisation, la volonté de survivre, la nécessité de comprendre qui tire les ficelles…) qu’on va combiner avec différents cadres emblématiques, dans un système qui permet d’en apprendre graduellement plus sur les protagonistes. C’est assez malin et novateur, mais sans doute pas vraiment pour moi…

Do it Yourself - Il y a 2 façons de considérer le dernier jeu en une page de Grant Howitt. Le premier point de vue, c’est de se dire que niveau critique sociale il s’est pas foulé, mettant le paquet sur 23 lignes de description et un principe veillant à redonner aux joueurs un maximum d’agentivité en les laissant écrire la moitié des règles (ce qui permet à Howitt de ne faire que la moitié du boulot). L’autre, c’est d’un point de vue game design : ce qui m’a frappé à la lecture c’est à quel point le jeu fonctionne avant même d’y ajouter des règles, et donc… pourquoi en ajouter ? Par ailleurs, si l’on veut critiquer læ MJ comme figure d’autorité, le mieux est peut-être de s’en passer, ou bien d’en faire un antagoniste clair, comme le fait AUTHORITY qui est pour moi la référence de ce genre d’expérimentations. Bref, c’est un bon premier pas sur la route de la déconstruction ludique, mais il reste encore quelques kilomètres…

Inevitable - Alerte, alerte, voici un jeu qui risque de plaire à la fois aux amies kF et Milouch, avec son esthétique à mi-chemin entre le western et l’épopée médiéavle et ses vibes très La Tour sombre de Stephen King, avec son univers pré-apocalyptique brossé à grands traits évocateurs (on y incarne une bande de chavires pistoleros qui souhaitent empêcher la chute prophétisée de leur capitale), avec son système extrêmement narratif, son atmosphère de conte pour adulte… Ben dis-donc, on dirait que ça m’a plu aussi ! Je chipoterai en disant que j’aurais préféré un cadre moins figé, qui laisse plus de place au groupe pour étoffer l’univers (parce que j’ai toujours du mal à m’approprier des choses touffues et toutes faites) mais on est clairement en présence d’un vrai Bon Jeu™ !

Clone Panic - Il se trouve que lors d’une de mes périodes de créativité intense, je me suis dit que ce serait une bonne idée de revisiter Paranoia, l’ancêtre des JdR dystopiques à connotation un peu trop humoristique et player versus player à mon goût… Je ne suis bien entendu pas le seul à m’être dit cela : Howitt a évidemment fait son jeu en une page sur ce thème et Clone Panic est un autre essai tout à fait honorable en la matière. En une page, on y retrouve le ton humoristique du jeu d’origine, le principe des clones (évidemment), des missions vouées, au mieux, à la réussite catastrophique… Je suis un peu déçu que l’aventure fournie avec le jeu soit des plus classiques, mais il y a fort à parier qu’avec un tel principe de base, l’auteur de Clone Panic lui fournisse du matériel plus intéressant dans le futur ! … ou pas, c’est un jeu itch après tout.
Bandes dessinées

Le Secret de la force surhumaine - Avant de m’attaquer à SPENT dont Milouch a parlé ici l’autre jour, il fallait que je lise le volume précédent de l’œuvre de Bechdel, que j’avais jusqu’ici laissé de côté, pas trop attiré par son thème annoncé du sport de la forme physique : les premières pas de Le Secret… ne m’ont pas sur ce point beaucoup rassuré, annonçant une sorte d’ode à l’aérobic qui ne résonne pas trop en moi (je me suis mis au sport cette année mais n’y tire aucune joie). Heureusement, j’avais sous-estimé la capacité de Bechdel à fournir un narratif complexe et à ce discours auto (et corpo)centré s’ajoutent d’autres couches : des parallèles avec divers écrivain.es romantiques, ce qui m’a davantage instruit que diverti, et surtout une réflexion sur la façon dont Bechdel sabote son corps par l’excès de zèles (et de substances), son travail par l’excès de doute, et ses relations par l’excès de nombrilisme. J’ai le sentiment que ce sont des thèmes qui seront poursuivis dans son prochain volume, et j’ai trouvé cette franchise plutôt rafraîchissante, tout comme son point de vue sur la mort (je me serais bien passé des réflexions bouddhistes, mais ça c’est juste moi).

Une Petite Mort - J’ai déniché dans une bibliothèque amie ce petit volume co-écrit par Alan Moore, une entrée semblant mineure dans sa bibliographie entre deux classiques de la bande dessinée. Si ça se laisse lire tout à fait agréablement, avec le retour de certaines obsessions de Moore (le flux intérieur éclaté du protagoniste, l’exploration de la banlieue londonienne décrépie), cela s’appuie sur une histoire tout à fait banale de quarantenaire publicitaire en proie au doute existentiel, ce qui ne m’a pas beaucoup ému. Une entrée mineure, en effet.
Littérature

Thinner - King est plutôt fort pour trouver des accroches qui vont marcher immédiatement, dont on perçoit à peu près comment elles vont fournir un roman qui descend en spirale vers l’angoisse pure : ainsi, dans Thinner, une malédiction qui fait maigrir, sans doute jusqu’à la mort, et qui s’abat sur le protagoniste dès les premières pages. Mais le roman ne s’arrête pas là, et c’est peut-être dommage : non content de suivre son (détestable) protagoniste le long de sa très lente agonie, il se transforme bientôt en une sorte de road novel, avant de devenir carrément un quasi roman d’action lorsque la mafia (sisi) s’en mêle. Je ne suis pas sûr d’avoir été convaincu par ce mélange qui ressemble un peu à une série de techniques pour faire durer l’intrigue, tout comme le cliché des gitans lanceurs de sorts a bien mal vieilli. Une entrée mineure, là aussi, dans la bibliographie touffue de King.
Série

Taskmaster saison 19 - Après avoir, un peu au pif, regardé le dernier épisode en date de Tasmakmaster, on s’est lancés dans le visionnage de toute la dernière saison (la 19e, donc) en prenant d’abord les épisodes dans le désordre, puis dans l’ordre. Car au final, même s’il y a des histoires de points et des gagnants, ce n’est pas ça qui fait l’intérêt du jeu : c’est de voir comment les candidat.es vont agir faces à des tâches souvent simples mais absurdes, du style « gagner les jeux olympiques des petits pois » ou « peindre un tableau sans avoir le droit d’entrer dans la pièce où se trouve la toile ». Il y a un vrai plaisir à la fois à voir certain.es candidat.es échouer lamentablement, et d’autres trouver des solutions malignes, le tout avec beaucoup d’humour ter d’énergie car les personnes appelées pour ce jeu semblent presque exclusivement venir du milieu de l’humour. L’autre force de l’émission c’est son ton tellement britannique, entre cruauté surdouée et bon esprit général ; on sent que tout ce petit monde fait semblant d’en prendre plein la tête mais passe un excellent moment, et du coup nous avec. Bref, nous voilà totalement conquis, et bien partis pour regarder une autre saison, histoire de voir si le plaisir venait de l’alchimie presque magique de cette dernière saison ou si le concept y est tout de même pour beaucoup…
Jeu vidéo

The Rise of the Golden Idol: the Sins of New Wells - J’ai, en général, une mauvaise relation avec les DLC : je les installe, y joue un peu, mais suis vite lassé et trop tenté d’aller tester un des 5 jeux attendant patiemment leur tour. Oui, c’est de toi que je parle, DLC de Outer Wilds auquel j’aimerais tout de même revenir un jour… Au moins, avec cette histoire bonus dans le cadre de Rise of the Golden Idol, je savais dans quoi je m’engageais, c’est-à-dire “more of the same”, ce qui m’allait très bien. Et de fait, cette enquête dans le sillon de l’histoire principale (j’ai dû réviser pas mal pour m’y retrouver entre les différents personnages) semble ne pas révolutionner les codes du jeu, jusqu’à l’introduction d’un twist que je préserverai ici mais qui vient sacrément compliquer les choses. J’aurais d’ailleurs préféré faire sans, tant sa nature me paraît aller à l’encontre de certains des principes du jeu, mais je m’en suis tout de même tiré ! Et maintenant, j’ai très envie d’aller voir comment les autres chapitres bonus revisitent cette formule d’enquête par association de mots…
Jeu de société

Dragon Castle - Depuis que mon ami Guillaume m’a fait découvrir le Mah-Jong il y a bien des années de cela, c’est un jeu qui n’a cesse de m’intéresser, pour plusieurs raisons (comme je peux être très attiré par le Go, par exemple) mais auquel j’ai très peu l’occasion de jouer. Entre en scène de Dragon Castle, qui reprend l’aspect du Mah-Jong sous son aspect solitaire (si tu as joué à sa version en ligne dans les années 90-2000, tu vois de quoi je veux parler) mais le transforme en jeu de duel plutôt stratégique, dans lequel il faut aller chopper des tuiles dans une zone centrale et les placer correctement sur son propre plateau, pour espérer damer le pion (ahah) à l’adversaire. Les parties sont étonnamment serrées et on y retrouve ce plaisir de manipuler ces petites tuiles, même si les retourner lorsqu’elles sont placées à l’endroit crucial, soit en plein milieu de son propre plateau, n’est pas toujours très simple…
Musique

Sufjan Stevens, Enjoy Your Rabbit - Si je dois te reparler de Sufjan Stevens, par quel versant aborder son œuvre allant chercher largement du côté folk mélo et délicat ? J’aurais pu te parler de Seven Swans, l’un de ses chefs d’œuvre en la matière, mais voilà que c’est un autre album qui s’impose, en commençant par un larsen puis une série de sons qui s’agglomèrent difficilement en mélodie. Ce truc, qui sonne comme du sous-Matmos, c’est un pur produit de ma théorie du 2e album qui dit que c’est dans la carrière d’un artiste toujours le plus expérimental. Pourtant, ça ne devrait pas être si surprenant de la part de Stevens, qui prouve dès “Year of the Rat” qu’il n’a pas abandonné le concept de mélodie, ici ritournelle entêtante, ni celui d’aller taper dans le sensible et le beau, comme le prouve le dernier titre de l’album ; tout cela n’est pas que du dégueulis du bruit. D’ailleurs, une revisite de l’album par un quatuor à cordes finira de montrer qu’il s’agissait ici d’une route parallèle et pas perpendiculaire, et que derrière des façades bruitistes se cachent souvent de très belles mélodies. En tous les cas, j’aime beaucoup ce détour qui remplit son office d’album orchestre, quelque chose qu’on aurait pu entendre en arrière-fond de Paprika ; un terrain vers lequel Stevens continue de revenir encore et encore le long de sa carrière, bien décidé à marier ses différents amours sonores.
L’arrière-queer de Milouch

Son corps et autres célébrations de Carmen Maria Machiado
Rappelez-vous chères lectrices, j'avais déjà parlé de Carmen Maria Machiado à propos de l'incroyable livre Dans La Maison Rêvée. Et aujourd'hui je reviens vers vous avec Son corps et autres célébrations ! C'est un ensemble de nouvelles qui parle de relations queer, d'emprise avec un côté un peu fantastique et horrifique. La première nouvelle est sûrement la meilleure et le livre vaut le coup rien que pour elle ! Disons-le direct, c'est un livre qui prend à la gorge. Il a sauté à la mienne et j'ai dû parfois le décrocher avec une certaine fermeté pour éviter qu'il ne m'emporte. Je vous le recommande donc mais seulement du bout des lèvres tant l'horreur qu'il contient est viscérale et tordante. C'est un livre à traverser armée, mais on y voit tous les prémisses de ce que sera Dans la maison rêvée.
Et toi,
qu’as-tu compoté cette semaine ?
Par ailleurs :
— C’est un peu trop court pour entrer dans la rubrique ci-dessous mais Laura nous conseille cet excellent morceau de synthwave ainsi que Le livre qui refusait de brûler de Mark Lawrence : « C’est de la très bonne fantasy, je me suis retrouvée happée dans cette bibliothèque infinie, à suivre Livira et Evar. Je lis beaucoup de SFFF et ce roman m'a surpris par ses développements, ses coups de théâtre. Mark Lawrence maîtrise son histoire et je n'ai qu'une hâte, lire la suite ! ».
— Un compte-rendu étonnamment passionnant d’une lecture intégrale de Moby Dick ; contient à peu près autant d’ennui qu’on pourrait s’y attendre, et beaucoup plus de queerness.
Des bises
et peut-être à dimanche prochain, en compagnie de Spank Rock.