La compote de Côme #234 - du dimanche 20 juillet au dimanche 27
Des sorciers, des sorcières et des bombes.
Jeux de rôles

The Seven-Part Pact - Si je ne t’ai pas déjà dit à quel point Yazeba’s Bed & Breakfast est le meilleur jeu de rôle de ces dernières années, on ne s’est sans doute pas assez croisés ces derniers mois. Une des choses que je lui trouve de remarquable est son équilibre parfait entre « jeu indé » et « pavé de 500 pages » ; eh ben on dirait bien que Jay Dragon a décidé de pousser encore plus la démesure avec ce Seven-Part Pact qui, une fois tout assemblé, dépasse les 600 pages sans problème. Normal, me diras-tu, pour un jeu dans lequel chacun des 7 magiciens jouables dispose d’un bouquin de 50 pages pour gérer son domaine, quand il n’est pas occupé à lancer l’un des sorts du grimoire, une petite chose de 200 pages… Kieron Gillen a raison de dire qu’il s’agit là d’un jeu où tout le monde est MJ, tant on dirait à la lecture qu’il s’agit de s’occuper chacun.e dans son coin de trucs très compliqués, puis de se retrouver de temps en temps pour gérer les conséquences chez les autres. Un jeu qui ne ressemble à aucun autre, donc, dont je suis très curieux de voir la forme finale, même s’il ne sera probablement pas pour moi…

Break > Rules - Dans une toute autre ambiance, voici un jeu en une page, ou plutôt en une grille de mots, où l’on incarne ceux et celles qui veillent à l’harmonie du monde… Dommage que la mécanique principale ce soit de découper des mots du texte jusqu’à ce qu’il ne fasse plus sens, ç’aurait été trop simple sinon ! Je ne suis pas sûr que le jeu soit en réalité très jouable, ou très intéressant, mais son concept est tellement rigolo que je ne pouvais pas ne pas en parler ici.

Hungry Gnoles eat the Rich - Les temps sont durs et c’est de plus en plus difficile de se sentir à l’aise avec ce que la société capitaliste devient. Alors la solution, c’est peut-être bien de manger les riches, comme on nous le répète depuis longtemps… C’est en tout cas le modus operandi défoulatoire que propose HGetR, dans lequel on incarne des créatures tout en bas de la chaîne alimentaire, qui vont rallier de plus en plus de monde à leur cause pour renverser le pouvoir en place… ou simplement manger tous ceux qui se dressent sur leur chemin ; en plus, ça fera des points d’expérience. Voilà, rien de plus qu’un jeu tout à fait défoulatoire, et vu ce que je te propose dans la page de pub, je ne vais pas râler !

Restore the Warp - La SF et le soap opera ne sont pas les genres que je préfère, mais je dois avouer que ce petit jeu, même dans une version inachevée, m’a plus convaincu que pas mal d’autres du genre. Il faut dire qu’il évite un certain nombre de poncifs, et surtout il donne une direction claire au groupe de PJ, qui ne vont pas se contenter de se battre contre le grand méchant de l’univers mais réveiller le dieu ancien grâce à qui la propulsion par hyperspace est possible. Le mélange entre mysticisme et futurisme fonctionne plutôt bien, les règles ne révolutionnent rien mais semblent tourner comme il faut, bref c’est de l’ouvrage très honnête !

The Witch’s Manor - J’avais acheté ce petit jeu solo avec bon espoir : j’en ai un peu marre des jeux solos qui te demandent d’écrire des trucs dans un journal, et celui-ci proposant de dessiner au fil de la partie le manoir de sa sorcière, je trouvais ça plus intéressant. Las, non seulement l’élément journaling est bien présent, mais en plus le chouette principe de dessin est ici assujetti à un principe de combat contre des monstres et de découverte de trésors que je trouve franchement assez mal fichu. Dommage, le jeu est loin d’être paresseux dans ce qu’il propose, mais je ne trouve pas ce que j’étais venu y chercher dans la direction qu’il prend…
Littérature

Moon Palace - Ce roman de Paul Auster n’est pas seulement l’un de mes préférés, il fait aussi partie de la littérature que je vais infliger à mes élèves à la rentrée, il était donc temps de le dépoussiérer par une relecture ! Les scènes et séquences dont je me souvenais sont toujours aussi fortes, soutenues par la sempiternelle écriture faussement dépouillée d’Auster, qui s’amuse ici à enchâsser des récits dans tous les sens, et à emmêler ses voix jusqu’à ce qu’on ait l’impression de suivre une série d’épisodes disjoints. Il n’en est rien, bien sûr, et ce qui ne s’emboitera pas narrativement le sera sur le plan thématique, avec un discours finalement assez dense sur le paysage américain, la trace que l’on laisse derrière soi et la soif du voyage. Je regrette juste un roman bourré d’hommes complexes mais avec une seule femme qui est très, très proche de la manic pixie dream girl…
Page de pub

HEX & THE PUNKS - Parfois, les projets prennent un peu de temps. Par exemple, je t’avais déjà parlé de Hex & the Punks à l’automne dernier, mais ce n’était qu’un jeu en version texte car à l’époque je me disais que je galérais trop à trouver de jolies mises en page pour mes jeux ; heureusement, je suis entouré de gens de grand talent et Nimaël m’a proposé de transformer mes histoires de sorcières vénères contre le patriarcat en un magnifique zine, entièrement assemblé à la main. Le voici donc, dans toute sa splendeur ! Et comme ce serait vraiment un crime de ne pas imprimer cette beauté, on va s’y coller dès la semaine prochaine, avec des exemplaires dispos en exclusivité à la Queervention (à Rennes fin août) et peut-être à OctoGônes (à Lyon en octobre). Le reste, eh bien ce sera dans La Trilogie punk, l’un de mes projets de financement du printemps prochain…
Films

The Pier - Ce qu’il y a de chouette, avec cette compote, c’est que les amis t’envoient des trucs en rapport avec les trucs dont tu as parlé, et voici donc un moyen métrage à propos de deux artistes qui décident de construire une pièce secrète sous une jetée, un peu comme dans Secret Mall Apartment ! Cette version-là de l’histoire est présentée de façon beaucoup plus sobre, presque analytique, se concentrant sur la construction elle-même, et principalement sur les couches de peinture dans ce qui deviendra ensuite un éphémère lieu de fête. On comprend assez vite que la finalité du lieu n’a que peu d’importance : ce pourquoi il est beau, c’est qu’il appartient à Erik et Nils et à personne d’autre, tout comme le temps qu’ils décident d’y investir. Et il n’y a rien de plus beau qu’un projet inutile.

A Normal Family - Ça partait pourtant bien, ce film se proposant d’examiner une face cruelle de la société (ici sud-coréenne, mais ça pourrait être n’importe où) ainsi que l’éternelle question « jusqu’où aller pour ses enfants, surtout quand ceux-ci sont ignobles ». On se prend assez vite au dilemme moral qui étreint les deux familles, mais hélas, il est vite entaché par l’aspect caricatural de la plupart des personnages, campés dans leurs positions morales… jusqu’à quelques revirements et grossissements de trait dans le dernier acte du film, qui vient enterrer la vraisemblance dont il bénéficiait jusque là. C’est vraiment dommage car avec un peu moins d’exagération, A Normal Family aurait pu être une fine analyse, mais il préfère être un conte moral.
Jeu vidéo

Superliminal - Je ne m’attendais pas à parler de Superliminal cette semaine ; j’avançais tranquillement dans ces explorations d’espaces tenant aussi bien du liminal, tel qu’il a envahi la fiction dernièrement (ces espaces tous semblables de couloirs et autres pièces vides ou labyrinthiques) que du rêve… et puis je suis arrivé à la fin. Ça tient au fait que le jeu est plus court que ce à quoi je m’attendais, mais aussi que ses manipulation de la perspective et les perceptions m’ont avalé, le temps de quelques heures. J’aurais bien voulu qu’il aille plus loin dans ses trouvailles et n’applique pas ce que j’appelle « la formule Mario », à savoir d’introduire une idée, de l’utiliser à fond dans un niveau puis de tout à fait l’abandonner ensuite, mais toutes les bonnes choses ont une fin…
Jeux de société

Counterfill - Je continue d’explorer les jeux de puzzles, plus précisément ceux où il faut deviner les règles du jeu en le résolvant, et force est de constater que je ne suis vraiment pas très doué. Une petite chose comme Counterfill vient dès lors à point nommé pour me rassurer son mon intelligence, car elle est très courte, et le déclic m’y est venue assez vite : ne reste plus dès lors qu’à en parcourir la grosse douzaine de puzzles, ce qui s’avère assez simple une fois la règle principale (et ses quelques dérivés) déduite. Une bonne trouvaille, donc, si tu as envie de te sentir intelligent.e à peu de frais !

Bomb Busters - Il y a bien des années, je m’étais éclaté (ahah) avec Keep Talking and Nobody Explodes, ce jeu vidéo collaboratif où il faut désamorcer une bombe à l’aide d’un livret avant qu’elle n’explose, que notre cerveau fonde, ou les deux. Je retrouve un peu de ces sensations dans Bomb Busters, l’urgence en moins et c’est pas plus mal car je suis à présent vieux et fatigué. On est ici plutôt dans une logique de déduction à partir d’indices partiels et de prise de risque de temps à autre, mais j’ai retrouvé cette sensation de sueur sur la tempe en me demandant si j’avais coupé le mauvais fil… Et encore, on n’a testé que les 3 missions de tutoriel, le jeu promet donc d’être redoutable sur les 63 (!) missions restantes !
Musique

Radio Elvis, Juste avant la ruée - Je ne connaissais pas grand chose de ce petit disque, mais les premières mesures de sa première piste m’ont vite conquis, avec cette voix claire qui jette sa poésie, portée par une guitare qui rythme le ton. Ça sent l’échappée, le voyage, quelque chose qui pousse en avant. C’est une musique qui ressemble à beaucoup d’autres (on pourrait comparer facilement la voix du chanteur à celle de Dominique A, les mélodies à du Frànçois & The Atlas Mountains) mais qui s’échappe par ses propres voix, en devenant plus sombre et ambiguë dans un 3e temps et puis, dans une maestria finale, mêler tout en un titre polymorphe, qui commence sous une route d’été avant de faire gronder l’orage, qui n’éclatera jamais tout à fait ; cela reste, fondamentalement, un disque d’été serein. Je ne suis pas allé voir plus avant ce qu’avait fait Radio Elvis après ce coup d’essai ; j’ai très certainement eu tort.
L’arrière-queer de Milouch

SPENT d’Alison Bechdel
Et oui, il est là, le dernier Bechdel !! C'est la reprise des perso des Gouines à suivre 30 ans après (donc en 2022, une année que j'ai vécu contrairement à une grosse partie des Gouines à suivre) et l'introduction d'une copie de Bechdel herself, le tout dans une ambiance plus rurale au Vermont où toustes les protagonistes se sont exilé⋅es. Alors, qu'est ce que ça vaut ?!
Et bien, je suis ambivalente....
Déjà, sur les points positifs, la BD reste super bien ancrée dans son époque. Il y a notamment un angle assez bien trouvé sur le Covid et son impact sur nos vies, sur l'usage des smartphones (promis c'est mille fois plus fin que les politiques d'interdiction des réseaux sociaux que Macron essaye de nous faire gober), les luttes actuelles et notamment les luttes contre Trump sont très bien représentées avec toujours ce côté « radicalité confrontée à la réalité »…
Mais, il faut le dire, je n'ai pas été emportée comme dans Les gouines à suivre. Attention, j'ai beaucoup aimé, mais dans Les gouines à suivre, il y avait cette magie de découvrir un monde un peu ancient et inconnu. La, ce que SPENT présente, eh bien, c'est juste le monde dans lequel je vis. Et la BD le présente avec l'angle d'une personnage principale qui est une bdaste à succès de 60 ans confrontée au problème d'adaptation d'un show sur sa vie. Donc j'avoue j'ai parfois eu un peu de mal à me projeter et à m'identifier.
Je trouve qu'il manque le côté un peu broke et communautaire qu'avait Les gouines à suivre. Oui, je le dis, ça manque de scènes avec Lois !!
Ça reste néanmoins un excellent Bechdel et j'attends avec hâte la trad en français !
Et toi

mass : J’ai vu Superman, le film de James Gunn. Pas vraiment fan des films DC — je n’avais pas du tout aimé The Batman, par exemple — j’y allais plus par curiosité que par réelle adhésion. Et je dois avouer que j’ai été agréablement surpris.
Dès le début, on est plongé en pleine action : pas de nouvel exposé interminable sur les origines de Superman, juste trois cartons explicatifs, et c’est parti. Très bonne surprise ! Le film regorge de références à l’univers DC. Superman n’est pas présenté comme un héros isolé, mais bien comme l’un des nombreux super-héros qui ont tous leur importance. Le méchant est particulièrement réussi et s’intègre parfaitement à l’intrigue.
James Gunn aborde aussi plusieurs problématiques politiques actuelles aux États-Unis. On comprend d’ailleurs pourquoi certains conservateurs autoritaires l’ont qualifié de film « woke ». Des thèmes comme la stigmatisation de l’étranger ou la parentalité apparaissent en filigrane, sans jamais alourdir le récit. L’humour est dosé avec justesse : ni trop présent, ni absurde (oui, je pense à toi, Taika Waititi, et ton Thor: Love and Thunder [note de Côme : je désapprouve fortement ce Waititi-bashing). Et si l’action est bien là, le film ne se résume pas à des bastons — même si certaines sont très réussies.
On apprend même pourquoi personne ne reconnaît Clark Kent quand il est journaliste (eh oui, c’est à cause des lunettes !). Franchement, James Gunn, qui avait déjà fait un excellent travail avec Les Gardiens de la Galaxie, réussit encore une fois avec Superman. Si vous aimez les super-héros mais que vous êtes lassés des blockbusters creux et sans âme, ce film est fait pour vous.
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Par ailleurs :
— Si tu aimes bien savoir comment sont faits les trucs, voici un site qui t’explique comment est fait le truc avec lequel tu lis cette compote.
— Non, je n’ai pas cessé de réfléchir au fait de faire des puzzles, par exemple comment dessiner des labyrinthes ou comment créer un puzzle dans LOK.
— Une chouette dissection des structures narratives des Livres dont vous êtes le héros.
— Une carte des fausses constructions dans le monde, du faux immeuble à la fausse île en passant par le faux village.
— Une des premières représentations de Jésus sur la croix, c’était pour se foutre de sa gueule.
Des bises
et peut-être à dimanche prochain, en compagnie de Tom Waits.