La compote de Côme #225 - du dimanche 25 mai au dimanche 1er juin
Un talisman, des courants d'air et des malheurs.
Jeux de rôles

Slew - J’avoue que je n’ai pas tout compris à ce JdR qui fleure bon l’OSR et les décors psychédéliques (il se revendique très précisément comme du acid break fantasy, ce qui en dit long sans en dire grand chose, il faut bien l’avouer) mais il a quelque chose d’irrésistible : son design minimaliste en noir et blanc et visuels un rien pixels-sales, d’une part, et d’autre part le fait d’être inspiré par un synthé, ce qui il me semble est unique en son genre. On y trouve donc tout un tas d’allusions plus ou moins discrètes au monde des synthétiseurs, et des artefacts étranges, et un chouette système qui permet de déterminer les scores d’un personnage et son passé en même temps… et le reste, j’ai pas trop compris, mais ça a l’air pas mal du tout quand même.

Instant Starship - Voilà un autre jeu qui se repose en grande partie sur son style impeccable, qui inclut vraiment le minimum du minimum niveau illustrations et fait reposer tout le reste sur ses choix de typographie et de mises en page, qui sont accessibles à n’importe quel néophyte (possédant néanmoins des années d’apprentissage visuel). « Tout le reste », c’est un jeu de space opéra genre Star Wars en plus cracra, avec vraiment le minimum pour gérer des vaisseaux qui font « piou piou », des pouvoirs psioniques et des armes qui font « poum poum ». Y a pas grand chose de plus que ça, même pas d’aide pour en tirer des scénarios, mais bon, quand on a la classe on peut se le permettre j’imagine…

Mission ImPAWssible - Tu sais qui d’autre a la classe ? Les espions dans les films des années 60. Tu sais ce qu’on joue dans ce jeu ? Trois ratons laveurs qui se font passer pour un espion dans une ambiance genre film d’espionnage des années 60. Le jeu parvient à la fois à émuler cette coolitude, avec pleeeeein de tables aléatoires pour t’aider à construire des missions déjantées, et à bourrer cette ambiance d’humour et d’animaux complètement dépassés par la situation, le tout avec un système à base de pièces de monnaie qui est exactement aussi compliqué que nécessaire, c’est-à-dire pas du tout. Franchement, après la lecture j’avais envie d’y jouer tout de suite, et c’est assez rare de nos jours…

The Hourglass Sings - Il faut me rendre à l’évidence, je ne trouverai jamais de jeu Zelda-like qui me convienne, ce qui ne m’empêche pas de continuer d’en lire et d’en découvrir des convaincants… Celui-ci s’inspire de Majora’s Mask (auquel je n’ai toujours pas joué) et de son principe de boucle temporelle pour en faire un jeu à 3 rôles où l’on va explorer les relations entre le Héros, les Ténèbres et la Ville jusqu’à l’apocalypse, puis recommencer, le tout en tirant des cartes à jouer et en répondant à des questions. Ça ne révolutionne pas grand chose mais c’est tout de même de la belle ouvrage, avec en bonus de jolies illustrations en pixel art et une version audio de toutes les règles du jeu !

Mulder, Murdock et Murloc - Non mais je vous assure, j’ai vraiment rien forcé du tout pour que mon Rambo, Rimbaud & Rainbow continue d’inspirer des jeux à 3 rôles et jeux de mots dans le titre… Celui-ci, une fois de plus, plie la formule de base en proposant d’une part une mise en page propre comme tout mais surtout un principe de construction d’un épisode de série dans laquelle les stars seraient Mulder (de X-Files), Murdock (de Daredevil) et Murloc (de World of Warcraft). Ça semble marcher plutôt bien, avec le choix de faire de tout ça une histoire racontée en commun plutôt que chacun dans son coin !
Littérature

The Talisman - Ça y est, je suis en plein dans la phase fantasy de la carrière de King, avec ce premier (gros) tome d’une trilogie écrite à 4 mains et qui part chasser sur les terres assez familières du héros ordinaire se retrouvant plongé dans un monde extraordinaire. Ça commence de façon assez sombre, puis ça bascule petit à petit dans un monde où l’aventure talonne les héros sans s’arrêter, le tout avec finalement assez peu d’explications sur la plupart des éléments de l’univers fictionnel… Et en fait, je trouve ça plutôt pas mal de se laisser porter en abandonnant toute prétention de logique autre que narrative (la plupart des péripéties semblent survenir juste parce que ce genre d’histoires initiatiques demande un paquet d’obstacles sur le chemin), et de goûter à un récit un brin télégraphié mais tout de même assez plaisant. Je ne sais pas trop comment tout ça va donner une trilogie qui tient la route, mais ma foi, ce ne serait pas la première fois…

Blackouts - Véritable OLNI que ce roman qui ne prétend être ni une fiction, ni une auto-fiction, ni un récit autobiographique, mais quelque chose en dehors des clous, un long dialogue entre un narrateur prompt aux pertes de mémoire et son amant en train de mourir du SIDA dans un motel anonyme… Les fragments rassemblés dans Blackouts racontent davantage leurs souvenirs séparés qu’ensemble, et sont surtout là pour fournir une toile de fond sur laquelle on découvre les recherches (véritables) sur l’homosexualité comme déviance tout au long du XXe siècle aux États-Unis. Les pages des rapports qui en découlèrent apparaissent parfois ici, mais caviardées, ne laissant transparaître que quelques mots qui forment des poèmes et viennent réhabiliter les personnes autrefois brandies comme sujets dans ces pages. C’est donc une sorte de revanche a posteriori sur un pan oublié de l’histoire de l’homosexualité au siècle dernier, mais aussi un beau récit d’adieu à l’autre, et, quoiqu’il en soit, une réussite tout du long.
Page de pub

Coupure pub ! - L’inspiration, c’est bizarre. Par exemple, j’avais une vague idée de jeu de course pour la Cereal Box Game Jam mais pensais ne pas avoir le temps pour la réaliser… et puis, lundi matin, sur le chemin du boulot, des conversations du week-end me reviennent : l’idée de faire un jeu composé de coupures pub, avec une vibe à la “Too Many Cooks” commence à germer. Pendant une surveillance de devoir, je rédige quasi intégralement le jeu ; l’après-midi, de retour chez moi, je le mets en page au lieu de corriger des copies. Et le soir, hop, le jeu est en ligne. Voilà, parfois une idée met des mois à venir, à être patiemment affinée, et parfois tu la saisis comme un éclair.
Films

Sirocco et le Royaume des courants d’air - J’ai découvert par hasard ce très beau film d’animation français, vu cette semaine avec ma fille, et je ne regrette pas ! J’y ai retrouvé quelque chose de la poésie du Roi et l’oiseau, marié à l’absurde poésie d’un univers à la Claude Ponti, dans lequel des créatures tordues prolifèrent sans qu’on s’embête à expliquer leur cohérence. À la place, on suit les péripéties de deux sœurs/chats qui enchaînent les aventures sans perdre haleine, avec juste ce qu’il faut de noirceur et de tragique pour rendre la fable tout à fait convaincante. Vraiment une réussite de bout en bout !

Conclave - Ç’aurait pu être un film sur l’élection du délégué du personnel dans une société de vente de photocopieuses ou sur l’élection présidentielle, il se trouve que c’est un film sur l’élection du Pape, ce qui donne lieu à de beaux costumes et de somptueux décors. C’est aussi un film au casting en béton, avec beaucoup de gens qui discutent et se prennent la tête (parfois littéralement), ce qui, grâce aux belles performances, n’est jamais lassant… Par contre, les rebondissements à foison pour mettre un peu d’action, c’était vraiment pas nécessaire, on était très content d’observer les dilemmes internes des cardinaux. C’est plutôt ce versant-là qui finit par être lassant, et fait perdre au film la solennité qu’il recherchait.

The Circus - Histoire de ne pas regarder que des dessins animés (de qualité nonobstant) avec Madeleine, on a décidé de lui montrer un classique ayant bercé nos deux enfances. Le contraste n’est pas évident avec ce dont elle a l’habitude mais pour elle comme pour nous, le film, malgré son quasi-siècle d’existence, marche toujours aussi bien, alternant rigolade et moments doux-amers, avec une majorité de ceux-ci. Et comment ne pas voir une métaphore à la fin du film muet dans la dernière scène du film, que je trouvais déjà touchante il y a des dizaines d’années sans pouvoir me l’expliquer, et que je trouve déchirante aujourd’hui…
Jeu vidéo

Arranger - Drôle de mélange que ce jeu qui est très largement un ensemble de puzzles avec une fausse moustache, c’est-à-dire une histoire aux accents rôlistes de méchants et de conspiration et tout le toutim. Mais bon, l’histoire a beau être sympathique, moi j’étais surtout là pour ce principe d’un décor qui se décale à chaque fois que tu bouges, ce qui donne lieu à de très sympathiques et variés puzzles, à la difficulté relevée juste comme il faut… Mais, sans doute parce qu’on ne peut pas courir tous les lièvres à la fois, ce mélange plutôt réussi fait d’Arranger un jeu assez court, au point que j’ai eu l’impression d’avoir loupé des parcours optionnels qui auraient rallongé un peu sa durée de vie (mais non, j’ai vérifié). Dommage, il y avait moyen de faire beaucoup plus avec ce principe !
Jeux de société

Faraway - C’était une semaine assez ludique pour moi puisqu’outre Arranger, j’ai aussi pu tester un jeu de puzzle verbal assez naze (je t’en épargne la chronique) mais aussi ce chouette petit jeu de société qui me faisait de l’œil depuis un moment de par son joli style visuel et sa mécanique promettant de devoir compter des cartes dans l’ordre inverse dans lequel elles ont été posées. C’est donc un jeu de stratégie où il faut construire sa progression à l’envers : les premières cartes posées (au moment où l’on a le moins d’infos sur ce qui nous attend ensuite) seront les dernières révélées, et les dernières (ramassées lorsqu’on maîtrise bien le jeu et sa propre main de cartes) seront révélées en premier, risquant de ne pas rapporter grand chose. Autant te dire que j’ai vite abandonné toute prétention de stratégie mûrement réfléchie pour éviter les nœuds au cerveau, mais une fois passé les couches apparentes de complexité (il faut vraiment que les jeux arrêtent de truffer leurs règles de vocabulaire inventé pour faire intelligent), tout cela est finalement assez simple et addictif !

Tropico - Ça faisait des années que je n’avais pas ressorti ce petit jeu de mémorisation bien plus diabolique qu’il n’y paraît : répondre à des questions sur des animaux colorés, c’est facile quand il y en a peu dont il faut se souvenir, mais plus le jeu dure et plus les cartes s’amoncellent… Avec ce terrible principe selon lequel, si tout le monde donne la bonne réponse, personne ne gagne et on ne vérifie pas les cartes déjà révélées. Ça pousse à la prise de risque, surtout face aux questions les plus fines qui viennent remettre en question notre perception des choses : on est convaincu qu’il y avait un papillon jaune dans la pile, mais non, pas du tout… Le tout avec un style visuel assez mignon, tout à fait adapté aux enfants (mais pas encore à la mienne) !
Podcast

Les Malheurs de Sophie, la comédie musicale - Madeleine s’est prise de passion pour Les Malheurs de Sophie ces derniers temps, se révélant capable d’écouter plus de 3h de livres audio à la suite sans râler ; nous en avons donc bouffé et rebouffé, jusqu’à en avoir un peu plein le nez de ces histoires morales où le plus sympa n’est pas la punition mais le crime qui la cause. Après l’écoute de plusieurs versions, on est devenus un rien experts et on peut vous dire sans hésiter que c’est cette production de France Culture qui est la meilleure : à cause de ses chansons vraiment chiadées (et restant dans la tête comme il se doit) mais aussi en termes de travail d’actrice et de bruitages en général, témoins d’une production qui s’est donnée les moyens de sa réussite. Jamais la fonte d’une poupée en cire n’aura été si bien reproduite au micro !
Musique

Dylan Municipal, Tigre dans le Tigre - Difficile de qualifier les albums de Dylan Municipal, souvent caractérisés par le « chanter-parler » nonchalant du frontman et par des mélodies bricolées, prenant néanmoins en assurance au fil des albums. Dans celui-ci, on croise une ode à Denver le dinosaure, des histoires de chiffres que ne renierait pas Philippe Katerine, des comparaisons improbables et la désormais incontournable longue chanson de fin d’album dans un style très « Jean-Luc le Ténia à son plus dépressif ». Bref, ce sont des histoires absurdes et 46e degré, qui n’empêchent pas une certaine poésie (quelque chose de l’ordre de la beauté du quotidien) ni une certaine maestria musicale, à laquelle l’étiquette de « pop » semble un peu réductrice tant les genres se succèdent et se mélangent le long de cet album. Au fil des années, l’univers unique en son genre de Dylan Municipal continue de gagner en densité, et j’ai hâte d’entendre où il se déploiera ensuite…
L’arrière-queer de Milouch

So Long Luise de Céline Minard
Tout part (comme souvent) des éditions Dystopia. À la fin de chaque tome de la collection Jydérie, l'amie Eugénie glisse ce paragraphe énigmatique : « Dans l'attentif commencement du monde que je connus, il n'y avait de place que pour les jeux inventés. Les règles se transformaient, le joueur se transformait, l'un et l'autre se répondaient. »
Céline Minard
So long, Louise.
J'avoue que ça me trottait dans la tête et je me suis donc dit : Bon allez, lisons le ce So long Luise !
Il faut dire que l'approche fut difficile. Des phrases longues comme un jour sans pain, des mots savants... On était bien loin du prosaïsme de la Bave de Schneck. Et pourtant au bout d'un moment (et de plus longue session de lectures) on tombe dans le roman et la, ça devient incroyable.
Parce que ce que nous conte So long Luise, c'est le testament / lettre d'adieu d'une femme immensément riche à sa compagne. Le livre est donc rempli de description fantasques et fantastiques de lieux et d'histoires, ciselé comme peuvent l'être des descriptions de Zola et avec le réalisme magique d'un Gabriel Garcia Marquez (oui, ça namedrop). Sauf que là, on a tout ça mais écrit par une meuf et à propos d'une relation lesbienne. Et bizarrement (ô miracle du matérialisme) et bien, c'est beaucoup moins cringe sur plein d'aspects.
Et j'ai alors eu vraiment le sentiment de pouvoir m'adonner à ce plaisir coupable des livres ultra touffus mais sans la culpabilité de voir des personnages miso (ou pédophiles, coucou Gabriel Garcia Marquez) faire des dingueries. Évidemment, le livre étant un pastiche, il ne parvient pas complètement à se défaire de la colle de ses ainés. Et la compagne de la narratrice est parfois un peu trop une figure d'arrière-plan à mon gout. Mais c'était une très belle plongée chez Céline Minard et j'ai hâte d'aller y refaire un tour.
Et toi

Caroline : J'ai vu Better Off Dead, documentaire de 58 minutes qui suit Liz Carr, actrice handicapée et militante anti-validiste, sur son combat contre l'euthanasie et le suicide assisté, disponible ici gratuitement avec sous-titres français (à ne pas confondre avec la comédie du même titre de 1985 avec John Cusack qui a l'air assez lourdingue et dont le plot summary sur imdb semble indiquer que ça y est, les machines ont pris le contrôle d’Internet). Sans éviter tous les tics du documentaire américain, elle s'en moque gentiment, soulève les questions qui font mal et, fait assez rare dans un documentaire politique, laisse des personnes qui ont le point de vue opposé développer leurs arguments sans que ce soit juste pour montrer comment iels sont méchant·e·s ou les démolir triomphalement ; au contraire, on les entend et on les comprend, et elle a choisi des personnes sympathiques, dont deux femmes elles-mêmes handicapées. Mais Liz Carr, sans nier les souffrances de personnes qui avancent l'argument de contrôle sur sa vie et son corps, replace ces lois dans le contexte d'une société validiste qui désigne déjà, plus ou moins insidieusement, les vies qui valent ou non le coup (et le coût) d'être vécues. Particulièrement recommandable en cette période de débat en France sur le projet de loi de « droit à l’aide à mourir », son argumentaire rejoint celui de militant·e·s en France et mérite qu'on s'y penche tant qu'il est temps.
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Par ailleurs :
— Illumination en discutant de Lilo & Stitch avec une collègue : comment n’ai-je pas pu voir qu’il s’agit d’une relecture de Frankenstein ?
— Je continue de lire des articles déprimants, qui me disent que dans le monde actuel du travail, paraître compétent est plus mis en valeur qu’être vraiment compétent ; que c’est pas avec nos messages indignés ou sarcastiques sur les réseaux sociaux qu’on va combattre le fascisme ; et que l’art, fût-il antifasciste, ne peut être que l’arrière-plan d’un mouvement de résistance, pas le mouvement lui-même. Rien de tout à fait neuf mais ces 3 réflexions mises bout à bout sont en train de décanter dans mon cerveau.
— Camille me transmet ceci. Merci, je suppose ?
— Pour changer d’ambiance, j’ai aussi regardé cette semaine des vidéos sur la conception de puzzles : par exemple cette petite conférence du créateur du génial Patrick’s Parabox ou cette plus grosse conférence du créateur du très chouette Linelight. Ça aussi, ça va fermenter sous mon crâne…
— Une histoire passionnante des illustrations d’albums (de musique).
Des bises
et peut-être à dimanche prochain, en compagnie de Jen Woods.