La compote de Côme #220 - du dimanche 13 avril au dimanche 20
Des sorcières, des films Disney et des gouines.
Jeux de rôles
Notre Crépuscule - Je l’attendais de pied ferme, ce nouveau-prochain jeu de Melville (actuellement en précommande) qui clôt sa trilogie informelle amorcée avec Bois Dormant et poursuivie par L’Insurrection ! Parce que bon, Notre Crépuscule parle de sorcières qui choisissent comment elles occupent leur fin du monde mais personne n’est dupe, on voit bien de quel désespoir il s’agit là. C’est donc un jeu triste, sans beaucoup de concessions, comme souvent chez celle qui est la 3e pointe de ma trinité en game design ; et justement, chez Melville « jeu au propos exigeant » ne signifie pas que ça va être compliqué à manier, bien au contraire. D’abord parce que les règles sont des plus simples, tournant autour de tirages de pierres aléatoires (je me suis d’ailleurs rendu compte, ou plutôt rappelé, que j’y avais piqué un bout pour Hex & the City), mais aussi parce que Melville, à l’inverse de bien trop d’auteurices indés, n’oublie pas de prendre son lectorat par la main et de lui fournir moult conseils, guides et autres galerie de personnages pour la mise en place d’une campagne du jeu se fasse presque sans effort. Et puis il y a cette touche bien particulière qui consiste à te présenter un univers fantastique à la fois familier et original, touffu et plein d’interstices pour que tu puisses y glisser tes propres envies… Non vraiment, je suis conquis, mais qui en doutait ?
Bull in a China Shop / Quack da Police / Div Horse - Plusieurs thématiques parcourent cette livraison, dont celle du jeu de rôle chelou avec des animaux, donc je te les emballe ensemble. En premier, on a un jeu où on incarne collectivement un taureau dans un magasin de porcelaine, et il faut se sortir de là sans (trop) casser de trucs. Dans le deuxième, on joue des canards qui sont tout ce qu’il nous reste entre nous et le fascisme, ce qui me paraît assez juste. Dans le dernier, mon préféré, on a un cheval polygame dont ses épouses (humaines) vont se séparer : un jeu qui finit mal, donc, avec des photos incroyables. Non vraiment, le jeu de rôle indépendant (et animalier) a de beaux jours devant lui.
Dans l’Ombre d’Excalibur - Brindlewood Bay n’en finit décidément pas de faire des petits ; cette semaine, c’est la quête du Graal qui est revisitée à la sauce « enquête émergente », avec une série de personnages féminins qui partent à sa recherche (ou, pour le dire autrement, un cadeau pour Milouch). Il y a une friction intéressante qui se dégage de cette déclinaison-là des règles, entre quête personnelle et récit d’une saga plus large ; elle n’est qu’esquissée pour le moment, puisqu’on a une fois encore devant les yeux une version en construction, un peu brute, du jeu, mais j’espère que la version complète ira creuser ce sillon !
Dungeon Crawl Her - Je me souviens de cette promesse qu’était le JdR Bluebeard’s Bride, promettant une déconstruction de la psyché féminine à travers l’exploration d’une série de pièces flippantes : Dungeon Crawl Her en est en quelque sorte le pendant OSR, se prétendant exploration classique de donjon mais en réalité (le jeu, étrangement, ne le cache pas trop) discours sur la féminisation forcée. Le projet est intriguant, tout comme son dispositif de 1 PJ / plusieurs MJ : au-delà de son discours militant, il y a là l’effort d’un jeu qui fonctionne, et c’est très louable !
Littérature
Equal Rites - Il faut croire que c’était la semaine des sorcières pour la compote de Côme, avec ma lecture de ce 3e roman du Disque-Monde qui parle encore de magie mais d’un point de vue différent des deux précédents. C’est intéressant de noter à quel point Pratchett a très vite eu envie de créer une œuvre-monde, pas franchement centrée sur un ou des personnages en particulier, et à quel point son discours progressiste est vite présent (ici, sous la forme de réflexions sur les rôles genrés dans la magie, et une possible troisième voie). Bon, par contre on est là dans un roman qui est plus intéressé par ses protagonistes et leur caractérisation que l’intrigue, qui tient sur un demi-ticket de métro ; mais comme c’est toujours aussi bien écrit et drôle, ça passe à l’aise.
Jeunesse
Les weeks-end de Polka tome 1 - À force de lire des livres à Madeleine, j’ai atteint un certain niveau d’exigence et si la plupart des bouquins qu’on lui sélectionne passent le test de l’histoire intéressante et des graphismes sympa sans problème (j’aurais par exemple pu te parler cette semaine de La Princesse qui n’aimait pas les princes et de son charmant twist lesbien), il y a autre chose d’important, c’est à quel point l’histoire se lit bien à voix haute. C’est donc une très bonne surprise que ces Week-ends de Polka qui, outre qu’ils contiennent mon type d’histoire jeunesse préféré (le quotidien sans histoire et ce qu’il peut avoir de poétique, rigolo ou intéressant), il est écrit dans un style qui se prête incroyablement à l'oralité, avec ses à-côté et ses répétitions. Et en plus, ça parle d’Abba et de gâteau de crottes, c’est donc très drôle. Et en plus, c’est dessiné avec ce graphisme foutraque cher à Charles Dutertre (oui parce qu’à force de lire des livres à Madeleine j’identifie sans trop de mal les auteurs phare du répertoire), bref c’est une victoire sur tous les tableaux !
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Rambo, Rimbaud & Rainbow - Faut pas me laisser partir en vacances, après je ponds des jeux à la chaîne… En l’occurrence, je continue à déverser mon énergie créative dans des jeux de 36 mots, pas plus pas moins, avec la folle conviction que ça suffit pour faire quelque chose de jouable. La preuve (?) avec ce jeu qui est sans doute un des plus stupides que j’ai jamais écrits, mais qui me semble parfaitement jouable et sans doute rigolo, en plus ! J’ai pris en tout cas beaucoup de plaisir à le rendre à la fois lisible et moche.
Correspondance en provenance du Bureau Central - Changement total d’ambiance avec ce jeu/carte postale pensé pour être envoyé discrètement à un.e collègue (réel.le ou imaginaire) pour trouver un espace de respiration dans un environnement de travail oppressif. Il demande un peu plus d’huile de coude que le précédent mais est sans doute parfaitement jouable également !
Green Dawn Mall, en japonais - Enfin, une annonce qui ne concernera que mon lectorat qui parle le japonais : mon premier « gros » jeu de rôle, Green Dawn Mall, sort au Japon la semaine prochaine ! Ça fait un an que je suis assis sur le scoop, ça fait du bien de lui faire enfin prendre l’air. C’est aussi un peu la fête parce que c’est mon premier jeu traduit en japonais, ce qui porte à 5 le nombre de langues dans lesquelles mes jeux sont disponibles (en sus du japonais, le français, l’anglais, l’espagnol et l’italien) !
Série
Agatha All Along - J’étais parti assez enthousiaste sur ce spin-off de WandaVision, une série Marvel qui avait débuté méta de ouf avant de s’essouffler comme un vieux flan : l’idée de suivre les aventures d’une sorcière avec un côté « méchante de dessin animé », ça me bottait bien. Hélas, je dois avouer que je me suis surtout ennuyé avec cette série au cast des plus réduits et aux épisodes des plus répétitifs, à un ou deux trop longs flashbacks près : ce n’est pas l’histoire des machinations diaboliques d’Agatha mais de son parcours le long d’une route légendaire, avec des épreuves absconses sur le chemin. Tout ça ne laisse pas beaucoup de place pour le développement des personnages, et s’alourdit vite d’une couche de mythologie Marvellienne qui ne m’a pas du tout intéressé. Il reste donc de la série une chanson terriblement efficace, même après l’avoir entendue une demi-douzaine de fois : ça tombe bien, c’est à peu près le nombre de moments où elle est utilisée dans l’intrigue. Les sorcières méritaient mieux.
Films
Blanche-neige / Le Livre de la jungle / Les Aristochats / Alice au Pays des merveilles - Les vacances, c’est aussi la grosse dose de films Disney des années où le père Walt était encore en vie, avec pas mal de classiques que Madeleine n’avait encore jamais vu. À les revoir ainsi à la chaîne ou presque, l’évidence s’impose : tout cela est bien évidemment très bien animé, avec des chansons qui font souvent mouche, mais c’est incroyable à quel point ces films sont dénués de toute intrigue ou presque et ne servent que de véhicules à des séries de péripéties oscillant entre le rigolo (avec les personnages faire-valoir) et le sombre (avec les personnages méchants) ; ou, pour le dire autrement, la moindre péripétie est une excuse pour caler une chanson plus un maximum de développements rigolos et/ou sombres pour étirer la scène au maximum. C’est sans doute un peu facile de décoder cela avec des yeux de cinéphile du 21e siècle à qui on ne la fait plus : je comprends tout de même pourquoi ces films ont eu leur succès à leur époque (avec tout de même, je suis obligé de le noter, une grosse dose de sexisme, voire de misogynie, dans chacun d’entre eux, et pas mal de racisme aussi).
Jeu de société
Le Jeu des trois brigands - Tous comme pour les livres jeunesse, je suis en général très critique des jeux de société jeunesse, souvent basés sur des principes ludiques pourris qui, étrangement, ne rebutent pas les moutards : Madeleine a par exemple bien aimé joué aux petits chevaux, je ne reconnais pas cet enfant. Je me méfie encore plus des « jeux à license », souvent assez mal foutus (quelle trahison ce fut que le jeu des Poussins de Claude Ponti !)… et pourtant, ce Jeu des trois brigands est plutôt pas mal : il combine hasard et (un soupçon de) stratégie, et offre des chances assez égales à tout le monde autour de la table. Ce n’est pas le jeu du siècle et il est sans doute trop imposant pour ce qu’il propose, mais ça a fourni quelques parties sympa d’une quinzaine de minutes !
Musique
Mon Dragon, KarassuTengu No Kodomo - La Raïa était morte, et après ? Tout ce petit monde essaima et je partis les traquer, du côté d’Enfance Sauvage (dont je t’ai déjà parlé), de Blanche Neige, de Missratched, mais surtout de Mon Dragon, qui sortit un unique album en 2007 avant de disparaître presque aussitôt. Il était mystérieusement titré en japonais et, pour ajouter un peu de mystique, la version vers laquelle je te renvoie ici est différente de la version vinyle, sur laquelle je m’appuie sur cette chronique… Alors, dans la version avec interlude ça commence avec des grondements, des coassements, une transmission pirate venue d’ailleurs : de quoi nous déposer tranquillement ailleurs avant d’enchaîner, sans transition, avec du punk vénère, crié plutôt que chanté, en 3 langues qui disent leur refus de toutes normes. Le son est bien plus brut et direct que chez les aïeuls mais les sujets ne dépaysent pas : contre les prisons, contre tout ce qui emprisonne les femmes en fait : les stéréotypes de la sexualité, les féminicides, l’avortement et le viol… On n’est pas là pour prendre des gants mais pour cracher une colère qui bien souvent se hurle, fait le plus de bruit possible pour que quelque chose passe, avec parfois un petit côté swing pour faire comme si rien de tout ça ne nous affectait. Et puis, presque au bout du disque, il y a cet « Interlude des enfants perdus » qui sonne comme un déchirant épilogue, ou le prologue de toute l’horreur à venir. KarassuTengu No Kodomo est un album qui ne finit pas bien, qui regarde la saleté en face, et qu’est-ce qu’on va faire maintenant qu’on ne peut plus mettre tout ça sous le tapis ? Eh bien je découvre en rédigeant cette chronique que la chanteuse de Mon Dragon est maintenant dans un groupe intitulé Meurtrières, c’est une piste comme une autre.
L’arrière-queer de Milouch
Gouines, sous la direction de Marie Kirschen
Le souci quand un livre nous fait pleurer dans ses 5 premières pages c'est qu'on s'attend à ce que tout le reste soit à l'avenant...
Alors finalement, passé les premiers émois, que vaut ce Gouines, ouvrage collectif rassemblant pleins d'autrices lesbiennes de talent ?!
Et bien, c'est disparate, foutraque mais très quali de bout en bout ! Alors bien sûr, je dois avouer que le texte qui m'a fait pleurer (celui de Marcia Burnier) surnage un peu au-dessus du reste, mais quel reste mes aïeulles !
Des textes sur la séparation en milieu lesbien, sur la condition de gouine racisée, handi, sur la vie, les modèles, les relations...
Des sentiments de No Anger
Des pensées de Marie Kirschen
Et de la poésie de Noémie Grundenwald !
D'ailleurs, j'en profite mais sache Noémie que si tu passe par ici, je te dois tellement !Tes traductions et comment tu en parles restent pour moi une des œuvres majeures de mise à disposition pour nous les lesbiennes !
Parce que oui, ce texte c'est aussi ça, un texte pour nous, pour les lesbiennes. Il n'a pas besoin d'être grandiose, il n'a pas besoin d'être infini, il est à nous, il est par nous et c'est déjà tellement !
Et toi,
qu’as-tu compoté cette semaine ?
Par ailleurs :
- Parfois, les scientifiques s’amusent, et des imbéciles les prennent au sérieux.
- Une plongée dans le cinéma évangélique et ses discrets blockbusters (tu reconnaîtras peut-être quelques titres diffusés par l’empire Bolloré, soit dit en passant).
- Dans sa dernière infolettre, Martin nous rappelle qu’il y a vraiment beaucoup de noms communs dérivant de noms propres en français.
- Non mais vraiment, ça devient de plus en plus dur d’assumer de soutenir Meta en utilisant ses produits, tu trouves pas ?
- Heureusement, il reste les récits de rêves.
Des bises
et peut-être à dimanche prochain, en compagnie de Joseph Allred.