La compote de Côme #207 - du dimanche 12 janvier au dimanche 19
Une cuisine, une statue et un entrepôt.
Ante scriptum
Une compote un brin plus courte cette semaine, pour cause de semaines marathons qui s’enchaînent. Au moins comme ça on arrêtera de me demander « mais comment fais-tu pour lire tout ça ?! » (la réponse : 1h30 de trajet par jour), alors que la vraie question, c’est comment je trouve le temps d’en parler…
Jeux de rôles
The Bench / Pick A Page - J’ai continué de lire des JdR en 36 mots cette semaine, et je continuerai sans aucun doute les semaines suivantes tant les projets cool continuent d’affluer. Les deux que je retiens pour cette fois, c’est The Bench de l’ami Gulix, jeu solo et contemplatif qui est tellement bien qu’il m’a poussé à entrer dans l’arène ; et Pick A Page, qui me rappelle les formidables expérimentations de Tom Phillips.
How Many Cooks Can Fit In This Kitchen? More Than You Think. - Donc, Jason Morningstar, jay dragon, Adam Vass, Rae Nedjadi et d’autres encore ont écrit un JdR ensemble. Ou pas. Et ça déboîte. Ou pas. En tout cas, HMCCFiTK?MtyT est une interview de toutes ces personnes, à propos de ce jeu. Ou pas. Et c’est assez marrant… ou pas tant que ça, tant imiter un style est une tâche herculéenne…
You Can’t Fuck With The Timeline - La même créatrice que l’interview potache précédemment citée a aussi créé ce micro-jeu de voyage temporel, entièrement gribouillé sur un billet d’avion, ce qui fait une première raison d’en penser beaucoup de bien ; mais en plus, c’est un jeu solo, introspectif et un brin poétique de grande qualité. Pas le genre de jeux à jouer, plutôt à lire, mais je me suis moi-même rendu coupable du fait cette semaine, alors…
TIME // HACKERZ - Mais oui, encore un jeu avec du voyage temporel ! Celui-là était passé sous mon radar alors qu’il a beaucoup de choses pour me plaire puisqu’il combine allers et retours entre passé et futur et cambriolage du futur, le tout avec des cartes à jouer, t’as pas idée de combien de mes gaming kinks ça fait frétiller. Un petit point noir, c’est le recours trop fréquent du jeu à un lexique qu’il invente au fur et à mesure : j’ai toujours eu une dent contre les jeux qui te poussent à apprendre plein de termes compliqués qui seraient tellement plus simples à appréhender en un langage plus simple. Mais bon, le jeu assume son côté bricolo-pas-fini, alors qui suis-je pour juger ?
Still Life - Et comme c’était clairement la semaine des jeux expérimentaux, j’ai aussi lu ce petit jeu en une page et pour 2, dans lequel on empile et manipule des objets en guise de dialogue. J’aurais sans doute du mal à ne pas trouver la situation cocasse pendant une partie et à garder mon sérieux (peut-être porté en cela par l’image choisie pour illustrer le jeu) alors que je suis sûr qu’il a un gros potentiel poétique !
Failing Westward - Ce jeu mérite sa place dans la compote juste pour son concept stupide : on y incarne en effet des cow-boys dans un cadre tout ce qu’il y a de plus cliché… Sauf qu’on rate tout ce qu’on entreprend, en lançant sur des tables qui amènent plein d’inattendu. C’était exactement le principe de Pendant ce temps, dans le métro, je suis donc bien placé pour savoir que ça marche parfaitement pour produire de l’absurde, et pourquoi pas avec un grand chapeau et des flingues ?
Bandes dessinées
Akumakun tome 2 - J’avais trouvé pas trop mal le premier tome d’Akumakun et je retrouve dans cette suite et fin des péripéties du même style, c’est-à-dire d’un type qu’on pourrait appeler « gonzo avec des yōkai », avec aussi ce mélange si particulier entre dessin très réaliste (pour les décors) et plutôt cartoon (pour les personnages). Le tout reste très simpliste pour des critères contemporains mais se laisse lire avec plaisir… Surtout pour l’histoire principale qui ne suffisait pas à faire un volume entier, d’où l’inclusion de récits plus courts qui m’ont moins convaincu.
La Pythie vous parle - J’avais été très déçu par l’ouvrage précédent de Liv Strömquist qui sous couvert de déconstruire l’astrologie semblait y accorder beaucoup de crédit, aussi ai-je ouvert celui-là avec un peu de réticence : bien mal m’en a pris, c’est très certainement son meilleur depuis longtemps et sans doute tout court. C’est une bande dessinée extrêmement dense, qu’il me faudra sans doute relire plusieurs fois pour en enregistrer toutes les réflexions, mais on peut dire pour aller très vite qu’elle parle des écueils du développement personnel et, de façon plus large, du problème qu’à notre époque à tout considérer comme un produit, y compris soi-même, à publiciser et vendre (et oui, l’ironie d’écrire cela dans une infolettre destinée au moins en partie à me mettre en avant ne m’a pas échappé). Il n’y a pas beaucoup d’intervalles rigolotes, contrairement aux précédents volumes de Strömquist, et l’on sort de sa lecture sans solution, avec un peu de tristesse, mais peut-être l’envie de réévaluer sa manière d’être au monde pour aller vers quelque chose de moins pressé et replié sur soi.
Page de pub
Vos regards aimants font naître mon contour - Allez du coup moi aussi j’ai fait un jeu en 36 mots dont le plus long a été de le mettre (mal) en page ! Il fait partie d’un projet de plus longue haleine dont j’aurais sans doute l’occasion de te reparler, et c’était aussi l’occasion pour moi d’aller piocher dans la réserve plus poétique de mon imaginaire. Un jeu à jouer tout·e seul·e, donc, dans un parc, et imaginer que tu es une statue qui n’existe qu’à travers le regard des gens. Il y a sans doute un certain message à aller chercher derrière tout ça, mais honnêtement, sans doute pas vraiment, je ne suis pas ce genre d’auteur…
Séries
Crisis Jung - Jean-Baptiste, collègue et lecteur de cette compote, m’a jeté le nom de cette mini-série entre deux périodes de cours : « C’est bien chelou, ça devrait te plaire ». En effet, rien que décrire Crisis Jung est une gageure : disons que c’est une parodie, traitée extrêmement sérieusement, d’un dessin animé genre Club Dorothée pour adultes dans lequel un héros tabasse des monstres horribles pour récupérer sa fiancée. Qui est morte et kidnappée par un monstrueux être nommé Petit Jésus, et je n’ose pas te dire comment les autres monstres sont créés… Car CJ est un peu scato mais surtout ultra-violent à un point presque ridicule, et je ne t’ai même pas parlé de la relation ambiguë de la série avec la non-binarité ni sa relation avec la psychologie jungienne… Bref, Crisis Jung c’est un peu n’importe quoi, et c’est compliqué de savoir à quel degré il faut prendre tout cela. C’est en effet bien chelou, avec ce refus d’expliquer quoique ce soit qui, pour moi, fait toute la différence.
Jeu vidéo
Fairune 2 / Fairune Origins - Allez hop, j’ai enchaîné Fairune avec sa suite, tant j’ai été charmé par son graphisme rétro et son gameplay qui mêle un soupçon de combat et beaucoup de puzzles et de trucs cachés ! Dans ce 2e opus on pourrait rajouter à la recette beaucoup trop de backtracking (« revenage sur ses pas » en bon français) souvent un peu frustrant, mais qui ne dévalorise pas trop le jeu. Il faut dire que cette suite est un peu plus ambitieuse, sans non plus trop en faire mais avec de jolies trouvailles (notamment par rapport à la carte du jeu) ; j’y ai en tout cas, le temps de quelques heures, retrouvé avec plaisir l’ambiance découverte dans le Fairune premier du nom. Et tant qu’à faire, j’ai enchaîné avec Fairune Origins, mini-jeu fini en 10 minutes et qui correspond en gros à une expérience miniature du jeu, ce qui n’est pas tant désagréable ! Et puis aussi avec Fairune Blast, qui est un shoot ‘em up sans aucun intérêt, et voilà j’ai fait le tour.
Musique
Guillaume Eluerd, The Year of the Dog - Si tu me demandais le top 10 des disques les plus sensibles, les plus touchants de ma bien trop grande collection, celui de Guillaume Eluerd, entièrement composé par et chez lui, serait très bien placé ; et pas seulement parce que le chanteur était très accessible, que j’ai un peu correspondu avec lui avant sa mort tragique il y a 10 ans. Dès la première chanson de l’album, tout est posé : la voix fragile, la guitare sensible, quelque chose de doux dont on sent que ça peut nous accompagner longtemps (et quel plaisir quand, plus tard, la même chanson revient comme un cri de joie). Cet aspect sensible est celui qui marque le plus le disque, tout du long, avec cependant des modulations différentes : ode à la musique à chanter en chœur, folk énervé ou, tout simplement, des chansons belles à pleurer. De temps en temps cependant, il se passe d’autres choses, comme avec le très entraînant “No Soap” (par lequel j’avais découvert la musique d’Eluerd), ou le plus désespéré “I Am Without Light” qui trahissent (un tout petit peu) son passé comme musicien électronique et prouve qu’il n’est pas étranger à des choses plus énergiques. Et puis il y a ces chansons qui ressemblent à d’autres choses qui me tirent des larmes, des ballades à la Mickaël Mottet ou à la Sufjan Stevens.
…… Et oui, si tu lis cette compote depuis très longtemps (depuis son passé comme confiture) tu te souviens peut-être que je t’avais déjà parlé de Guillaume Eluerd et de ses multiples projets qu’il n’a pas pu mener jusqu’au bout, mais il était temps de lui rendre davantage hommage. Je note donc d’y revenir vers 2030.
L’arrière-queer de Milouch
Aujourd'hui Doroth... Et non boum Boys will be Boys du Dr. Pralinus
Boys will be Boys, c'est un extraordinaire webtoon du Dr. Pralinus et ça faisait quelque temps que je voulais en parler ici. Je suis retombée dedans pendant les vacances de Noël, du coup, je me lance ! Il nous raconte la vie de César, un lycéen non binaire qui est aussi Youtubeur. La BD nous montre sa vie de lycéen.e, ses amis, ses amours...
C'est très chou et plutôt fin. Bien renseigné et assez réaliste quand à ce que des personnages queer jeunes peuvent être. Je pense que c'est sûrement une des meilleures choses à lire face aux discours alarmistes sur les adolescents trans.
Alors évidement, ça vous changera un peu de la violence d'une Camillia Sosa Vilada, du feu d'une Dorothy Allison ou de la dureté d'une Leslie Feinberg mais bon, que voulez-vous, parfois l'arrière-queer a besoin d'un peu de tendresse.
Car vivre sans tendresse, on ne le pourrait pas.
Et toi
Cédric : J’ai joué à Wilmot's Warehouse.
Ma mémoire n'est plus ce qu'elle était. Alors quand un ami a apporté Wilmot's Warehouse à la maison, j'étais sur la défensive. Quel fun
allions-nous pouvoir bien avoir à jouer à un jeu de plateau entièrement basé sur la mémoire. « Oui, mais c'est coopératif », m'a-t-il rassuré. Mouais...
Le jeu se joue en deux phases distinctes : dans un premier temps, nous devons ranger sur une grille de 7x7 35 tuiles portant chacune un symbole stylisé. Une fois la tuile placée sur le plateau, elle est retournée face cachée pour le reste de la partie. Il s'agit donc de ne pas oublier où l'on a placé quoi. Pour ce faire, les joueurs se racontent collectivement une histoire absurde qui va les aider à se souvenir des emplacements et des éléments. Car les symboles sur les tuiles sont toujours interprétables de plusieurs manières : moi je vois une bombe en train d'exploser, ma voisine y voit une bague de fiançailles mais finalement le groupe décide que c'est une éclipse du soleil. Et à mesure qu'on rajoute une tuile sur le plateau, on continue d'ajouter un détail à notre histoire collective : cette tuile qui ressemble à du bacon ? On va dire que ce sont les ondes qui émanent de l'éclipse. Cette tuile en forme de pantalon ? Non, c'est en fait l'aimant qui attire les ondes qui s'échappent de la l'éclipse. Tout fait étrangement sens, mais juste pour les joueurs. Notre logique interne se bâtit tuile après tuile, et devient progressivement imbitable à uiconque ne fait pas partie de ce délire. Ce fez ? Mais non, c'est un bout de bâton de dynamite que James Bond (du moins la tuile représentant un nom papillon.... ou une hache) a utilisé alors qu'il sortait de son sous-marin (car une tuile représentant un tuyau digne de Mario nous a fait penser à un périscope, cherchez pas). Comme c'est trop simple en l'état, le jeu rajoute par moment des contraintes fortes qui viennent rendre l'expérience encore plus fofolle. Un seul joueur voit le symbole sur la tuile. Sept tuiles sont dévoilées d'un coup... C'est donc l'assurance que chaque partie sera très différente.
Et donc à la fin, on se retrouve avec 35 cases de notre plateau de 49 recouvertes par des tuiles dont on ne voit pas le symbole. On doit alors les identifier une à une sans se tromper sur leur emplacement. Et c'est là que cette histoire collective démontre toute sa puissance : c'était effectivement un peu crétin de dire que le chameau mangeait des ananas en se protégeant avec une ombrelle, mais en attendant on sait que telle tuile représente deux bosses, que celle qui ressemblait un à un gant de cuisine va à gauche et qu'au dessus va logiquement le
manche de parapluie. Dans notre cas, les 35 tuiles ont été correctement identifiés et localisés, nous n'en revenions pas d'être arrivés à produire une telle histoire mnémotechnique. Pire, nous sommes le lendemain de la partie et je suis encore capable de vous dire où va quoi.
Qui pis est, nous avons découvert que ce jeu de plateau était une adaptation d'un jeu vidéo qui n'a (de ce que je peux voir sur YouTube)
mais alors rien à voir avec l'expérience que nous avons eu autour de la table puisque c'est un jeu de rangement. Côme y a joué et semble en
avoir tiré une belle expérience. C'est vraiment épatant de voir qu'au lieu de faire une bête adaptation, ils sont partis sur un gameplay
totalement différent.
Bref, Wilmot's Warehouse, ça s'explique en une minute et ça se joue dans la bonne humeur. Et ça nous fait prendre conscience de la
multiplicité des interprétations des symboles, de la force de notre mémoire quand on l'utilise en pleine conscience et surtout de
l'incroyable efficacité d'un groupe quand il se dote d'un objectif clair et d'un langage commun.
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Par ailleurs :
- Avant les gratte-ciel, il y avait les tours italiennes.
- Une compilation de toutes les title cards (ces illustrations où il y a le titre de l’épisode) de Doctor Who. Celles de la toute première saison (celle de 1963) ont quelque chose de très typographiquement sexy par rapport aux autres…
Des bises
et peut-être à dimanche prochain, si tout va bien au paradis.