La compote de Côme #201
Un homme qui court, une femme qui boucle et une griffe du diable.
Du dimanche 1er décembre au dimanche 8,
J’ai lu :
The Running Man - Bien malgré moi je ne respecte pas tout à fait la chronologie des sorties de King, mais c’est un mal pour un bien car ce Running Man fut une excellente lecture, haletante de bout en bout avec un style percutant et efficace comme le sont les autres bouquins écrits sous l’alias de Bachman. Il n’y a pas grand chose de très novateur dans la dystopie dépeinte ici, et le dénouement de l’intrigue ne fait à peu près aucun doute, mais le compte à rebours implacable et les chapitres très courts donnent envie, comme dans une bonne série, de savoir non pas comment le héros va s’en sortir mais jusqu’où il parviendra à aller. Bref, c’était un très bon roman-feuilleton !
Wanna Play Right Now? - Je ne suis clairement pas le public pour WPRN? qui s’adresse sans ambiguïtés à des débutant.es en jeu de rôle, mais c’est fait avec une telle clarté, aussi bien textuelle que visuelle, que je ne peux que saluer l’effort ! Surtout que, même si on reste dans un habillage medieval fantasy, le jeu ne cède pas aux facilités OSRiennes habituelles et préfère un système de résolution basé sur le pierre/feuille/ciseaux et propose 10 aventures (plus tout un tas d’amorces) qui s’écartent un peu de ce qu’on peut trouver habituellement dans le commerce. Et puis franchement, comment repousser un jeu qui propose une aventure intitulée “Too Many Crooks” ?
The Moon Is Missing - Non content d’avoir un titre qui tabasse, TMIM propose aussi quelque chose de proprement brillant dans l’élaboration de ses règles et des personnages qui vont mener l’enquête pour retrouver cette fameuse lune disparue : on y retrouve un principe de listes dans lesquelles il faut piocher, comme dans beaucoup de jeux de rôles, mais ces listes sont à compléter et permettent dès lors d’aller plus loin que les clichés habituels (“Say the __ thing” pourrait ainsi être complété avec “wrong”, “right” ou encore “funny” pour 3 ambiances très différentes). Beaucoup de bonnes choses, donc ; quel dommage dès lors que le jeu me paraisse en très grande partie incomplet, ce qui me laisse ___ .
FOOL - Je ne suis pas en soi un amateur d’isekai, ce genre de fiction dans laquelle un·e individu ordinaire se retrouve projeté·e dans un monde extraordinaire (et se découvre par-là même des capacités insoupçonnées). Ça marche néanmoins plutôt bien en JdR et c’est bien exploité à travers ce petit jeu entièrement basé sur le tarot divinatoire, avec un système pas si éloigné de celui de Hex & the City et une logique de quêtes qui se base sur les arcanes majeurs et est plutôt convaincant. En fait, je me suis dit à la lecture que FOOL pourrait, voire devrait, être un jeu bien plus développé ; il y a en tout cas matière à…
Le Problème à trois corps tome 1 - On m’a offert ce « classique de la SF » (dixit l’ami offrant) à mon anniversaire et j’ai enfin pris le temps, ces dernières semaines, de m’y plonger ! Un peu déroutant au début par sa galerie foisonnante de personnages, Le Problème s’installe assez vite dans deux intrigues en parallèle qui finissent bien sûr par se rejoindre et concerner, tu l’auras deviné, cette question de mécanique orbitale classique qu’est le problème à N corps (merci Wikipédia). J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt les quelques mystères essaimés au long de l’intrigue, jusqu’à son dernier quart… Qui répond à tout ça par un gros bond logique, qui écarte soudain le roman de la hard science plus ou moins réaliste et le projette dans une science-fiction un peu fantaisiste à mon goût. J’ai du mal à voir comment l’intrigue peut encore être étirée sur 2 tomes, qui plus est plus gros que le premier, mais on verra bien…
Catching the Westbound - Je suis tombé par hasard sur ce jeu tout à fait MilouchCore, comme on dit dans le jargon, qui propose d’incarner deux hobos faisant un bout de chemin à bord d’un train de marchandises et échangeant des histoires, biographiques ou pas, parce qu’on n’a que ça à faire dans un train en marche. Le jeu est simple et efficace, produit exactement ce qu’il se propose de produire, et il s’en dégage une poésie un peu sèche qui me plaît beaucoup… C’est la belle découverte de la semaine !
J’ai vu :
Omni Loop - À présent que le principe de la boucle temporelle est devenue un genre, pour le meilleur et pour le pire, c’est parfois difficile de se détacher du lot. Omni Loop a choisi pour cela l’approche émotionnelle : ce n’est clairement pas un film sur les mécaniques de la boucle dans laquelle l’héroïne est bloquée, ni même sur ses implications philosophico-logiques. On comprend assez vite que tout cela est une métaphore pour exprimer les bloquages des deux protagonistes, dont il se dégage une grande tendresse, soulignée par un montage toujours au poil. Ce ne sera pas le film temporel du siècle pour moi, mais un visionnage plutôt doux, qui fait du bien.
J’ai écouté :
Gavin Bryars, The Sinking of the Titanic - Je ne sais plus comment j’étais tombé sur les boucles sonores de Gavin Bryars mais elles accompagnent toujours le temps (pré-)hivernal avec brio. On est ici dans le cœur de la musique ambiante expérimentale : des couches de sons qui s’empilent progressivement, en boucle, sans jamais perdre de leur beauté hypnotisante et triste. “The Sinking of the Titanic” annonce le programme dans son titre : les notes s’y enfoncent sans perdre de leur détermination, c’est l’orchestre qui joue jusqu’au bout quand il n’y a plus de bout, quand même la tête sous l’eau on continue d’espérer, malgré les discordances et les distorsions. Mais c’est par la 2e face, “Jesus’ Blood Never Failed Me Yet”, que j’avais d’abord connu Bryars : un chant de poivrot sans-abri, qui commence a capella, comme menacé d’être emporté par la désolation mais déjà très entêtant et beau dans ses imperfections. Monté en boucle, il prend en puissance et puis, au bout de plus de 3 minutes, vient être soutenu par un orchestre à cordes. Il y aura, un peu plus tard, une guitare qui viendra compléter l’ensemble, et puis des cuivres comme un long soleil couchant, mais ce sera à peu près tout, jusqu’à la fin. Ça pourrait aussi bien ne pas finir et continuer de nous emplir de beauté jusqu’à la désagrégation de tout.
L’arrière-queer de Milouch :
Le lobby Transphobe
Si vous suivez un peu l'actualité queer, vous n'êtes pas sans savoir que les droits des personnes trans font en ce moment face à des attaques de plus en plus fortes.
Ce sont ces attaques que Maud Royer a décidé de documenter dans son excellent : Le lobby transphobe.
C'est un résumé et une analyse très complète de l'ensemble des attaques menées contre les droits des personnes trans ces dernières années.
Que ça soit sur le terrain législatif (proposition de loi interdisant les bloqueurs de pubertés, exclusion des hommes trans de la constitutionalisation de l'IVG...), médiatique (Stern, Moutot et cie) ou encore associatif (Ypomoni, association petite sirène...). Le travail de documentation sur ces deux dernières associations est d'ailleurs celui sur lequel j'ai le plus appris. Maud Royer y décortique avec précision leur absence de fondement scientifique, de légitimité et leur incapacité à produire un discours qui n'est pas un discours de haine.
Je ne peux que vous recommander la lecture de ce petit essai. Si vous suivez quotidiennement l'actualité trans, vous n'y apprendrez pas forcément grand chose mais cela vous donnera une bonne archive sur le sujet. Et si ces terrains vous sont un peu étrangers, ce livre vous permettra d'appréhender l'ensemble des actions transphobes actuellement en cours.
Écrivant ces lignes quelques semaines après le TDOR, nous savons que cette offensive à d'ores et déjà des conséquences très concrètes et nous pouvons craindre que cela n'aille pas en s'améliorant…
Et toi :
mass : J’ai lu Tout pour tout le monde, un livre qui prend la forme de douze entretiens fictifs. Deux historiennes y interrogent des personnes travaillant dans un monde post-révolutionnaire. Ce nouveau monde se veut une utopie égalitaire, écologique et coopérative.
Onze des entretiens concernent des habitants de New York, qui parlent de leur ville et de leur quotidien. À travers leurs récits, on peut reconstituer un tableau assez détaillé de ce qui s’est passé avant et pendant la révolution dans le monde, ainsi que de la vie actuelle dans cette société. Un seul entretien s’écarte de ce cadre pour évoquer ce qu’il s’est passé à Gaza et en Palestine.
Le livre explore la vie dans l’ère des communes, un communisme qui se veut comme il « devrait être » : basé sur la coopération et l’harmonie. Cependant, j’ai eu du mal à pleinement apprécier ce livre. Ce n’est pas à cause du style inclusif, qui ne m’a pas dérangé à la lecture, mais parce que j’ai trouvé le texte lourd.
Certaines facettes du monde décrit m’ont laissé perplexe. Par exemple, l’approche positive envers les drogues m’a semblé problématique. De même, l’importance accordée à la spiritualité ne m’a pas convaincu. Le livre accorde aussi beaucoup de place aux questions de genre. Si ce sujet est important, j’aurais préféré une exploration plus approfondie de la façon dont les gens organisent concrètement leur vie dans ce monde communisé.
En fin de compte, je suis resté sur ma faim.
Cédric : J’ai lu La Griffe du Diable.
La chasse-galerie est une légende québécoise inspirée par le folklore poitevin. Elle raconte que des bûcherons isolés dans la forêt un soir du réveillon se morfondent de leurs blondes. Ils donneraient tout pour, le temps de quelques heures, passer quelques heures avec l'être aimé, qui est si loin... Désespérés, ces hommes font alors un pari délétère en pactisant avec le diable. En montant dans un canot magique qui va leur permettre de retourner dans la civilisation pour fêter en bonne compagnie, ils vont mettre en danger leur âme immortelle. Car le diable impose des conditions drastiques pour ce voyage. Si les bûcherons font la moindre erreur, ils finiront en enfer. Et bien sûr, le diable fait tout ce qui est en son pouvoir pour les pousser à la faute. Réussiront-ils à se montrer plus malin que le diable ?
La version de Roger Cantin est une novella d'un centaine de pages d'une efficacité redoutable. Il faut dire que Roger est un fieffé écrivain qui n'en est pas à sa première histoire : c'est (entre autres) le scénariste du film La Guerre des Tuques, LE film québécois qu'il est obligatoire de regarder pendant le temps des fêtes (avec Astérix et Cléopâtre, une autre tradition provinciale). Tout le monde connaît ce film qui a 40 ans et qui incarne la nostalgie d'une jeunesse douce-amère. C'est une sorte de Guerre des Boutons, mais avec des boules de neige. Bref, le père Cantin est un conteur de première. Sa version de la chasse-galerie est généreuse, elle se dévore en une soirée au coin du feu. On est de tout cœur avec ces rudes bûcherons qui ont une faiblesse momentanée qui va les pousser sur une pente savonneuse. Et surtout ce texte permet de résoudre un paradoxe : tout le monde au Québec connaît la chasse-galerie par ouï-dire, mais sans jamais l'avoir lue. Et bien c'est chose faite : j'en connais les détails désormais. Et je comprends tout à fait que les longues nuits d'isolement dans une forêt impénétrable couverte de neige aient donné naissance à ces légendes aussi fantasques : c'étaient quand même des vies de misère...
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Par ailleurs :
- Je ne sais pas si cet article a fait remonter en moi le faux souvenir d’avoir manipulé le mercure d’un thermomètre en classe quand j’étais jeune ou si c’est vraiment arrivé. Ça n’a pas beaucoup d’importance car de toute façon il est fichtrement bien écrit.
- Oui, tu les connais tous ces tubes, et sans doute quelques-uns des samples qui les ont façonné (et encore, moi après les années 1990 j’étais paumé) mais la façon de les présenter de cette vidéo est super élégante.
- Si tu as vécu à Paris la seule année où il y a eu un skatepark à la Villette, ça m’intéresse !
- Un très long et très intéressant article sur les “AI companions”, et comment, fondamentalement, on ne peut pas s’empêcher d’insuffler de la personnalité humaine dans la moindre chose, y compris quand celle-ci se contente de prédire le mot suivant dans une phrase.
Des bises
et peut-être à dimanche prochain, si tu as besoin d’une petite visite au spa.