La compote de Côme #198
Des prédateurs, des punks et des princesses.
Du dimanche 10 novembre au dimanche 17,
J’ai lu :
Sacrées sorcières - Je ne suis pas peu fier d’avoir lu cette semaine l’intégralité de Sacrées sorcières à Madeleine, avec certes quelques coupes et reformulations, en maintenant tellement son intérêt que maintenant elle cherche à savoir qui est secrètement une sorcière quand on se balade dans la rue. Je n’avais pas relu ce roman depuis plusieurs décennies et fus donc surpris de constater que ça se finissait bien moins mal que dans mon souvenir et qu’il y avait quand même pas mal de tirage à la ligne et de répétitions, sans que je sache réellement si c’est quelque chose qu’on retrouve dans les autres livres de Dahl. En tout cas, un plaisir de retrouver cette prose qui se complait à décrire des choses révoltantes avec le genre de petit sourire qu’on se passe d’un·e initié·e à l’autre !
Cujo - Voilà encore un roman de Stephen King qui, à mon avis, ne mérite pas son étiquette d’horreur : bien sûr qu’il comporte des situations stressantes et gore, on parle quand même d’un roman avec un chien énorme qui bouffe des gens, mais ça reste, en fin de compte, relativement réaliste (à part quelques délires autour d’une présence dans un placard qui ne vont pas très loin). On y retrouve en revanche la tendance de l’auteur à prendre un peu trop son temps pour poser les personnages et les enjeux avant de foncer sur les 100 dernières pages pour conclure ce qui doit l’être, donnant un rythme étrange et étrangement mou (sans être désagréable) vu le ton de l’intrigue. Celle-ci s’achève d’ailleurs sur des pages d’une tristesse absolue, chose plutôt nouvelle chez l’auteur (pour moi qui lis ses livres par ordre de parution) et témoin d’une certaine maturité…
Survivre au crépuscule - Il n’y a étonnamment pas tant de jeux de rôle que ça autour du principe de la chasse, c’est-à-dire d’une course entre un prédateur et sa proie, avec les deux rôles représentés autour de la table : j’ai (qui a dit « évidemment » ?) tenté l’aventure de mon côté avec un jeu objectivement bof, et cet essai-là est bien plus convaincant, mettant dos à dos une bête et son chasseur, un roi contre une sorcière, ou au final tout autre type de duo antagoniste… Le tout avec des règles simples et concises consistant principalement à tirer des jetons d’un sac, en espérant piocher la bonne couleur et en utilisant les actions de son personnage pour faire pencher la balance en sa faveur. De la belle ouvrage, donc !
May You Fish in Interesting Times - J’aime les jeux qui vont explorer un petit coin qu’ils occupent à eux tous seuls, et balancent des concepts incongrus qui fonctionnent parce qu’assumés : ainsi cette idée de jouer des oiseaux anthropomorphes, vétérans d’une révolution avortée, qui vont pêcher ensemble. En réalité, derrière ces atours fictionnels, MYFIIT propose une réflexion fine autour de la lutte politique et/ou des marques que peut laisser un engagement fort, quel qu’il soit. Et pour cela, rien de mieux sans doute que de faire semblant d’être léger…
The Job - J’ai un petit faible pour les jeux de cambriolage, et pas que parce que, là aussi, j’en ai commis un par le passé. Pour être honnête, la variante sur le thème proposée par The Job ne m’a pas paru dingue : son système de dés qu’on empile jusqu’à la chute est prometteuse mais un rien truquée (il est conseillé expressément au MJ de multiplier les jets de dés si la tour ne tombe pas assez vite) et son découpage en deux parties (les joueurs brainstorment un déroulé pour le casse, puis jouent celui-ci) était je crois présent de façon plus fine dans Wilderness of Mirrors. Non, sans hésitation, ce qui détache The Job de la concurrence, c’est sa formidable mise en page qui rend hommage aux films d’espionnage des années 60, et se permet de le faire avec classe puisqu’en utilisant uniquement des œuvres du domaine public !
Acme Novelty Date Book volume 3 - On ne peut pas dire que Chris Ware fait beaucoup, dans ce troisième et dernier volume de ses extraits de carnets de note, pour combattre sa réputation d’auteur d’histoires déprimantes et ternes ; non pas que c’est la sensation dégagée par les pages qu’il nous est donné à voir ici (semble-t-il encore plus soigneusement sélectionnées), qui prouvent surtout la maestria graphique de l’auteur, mais il y figure aussi de nombreuses mini-planches dont le sujet récurrent est la haine de soi et le désespoir de vieillir (mais aussi, souvent, l’amour extrêmement profond de Ware pour feue sa grand-mère et pour sa fille qui grandit entre les pages). Il y a quelque chose de plus touchant encore que dans les volumes précédents à constater l’angoisse sincère de Ware qui lui pourrit la vie et détruit son estime de lui-même, malgré son talent ; et qui explique sans doute pourquoi sa production continue d’être si lente. Il aurait dû écrire du JdR, il se serait moins pris la tête.
Ernestine - C’est l’amie Lisa qui m’avait recommandé cette bande dessinée au graphisme faussement enfantin et bancal, dont on sait depuis longtemps qu’elles peuvent dissimuler autre chose de bien plus pernicieux (Liv Strömquist en étant un autre exemple récent). Le point de départ est simple : Ernestine a 9 ans mais se comporte comme une trentenaire intello qui fume et regarde Godard, tout en étant parfaitement infecte avec tout son entourage, à commencer par sa mère. La BD se compose de petites histoires plus hilarantes les unes que les autres : j’ai rarement, voire jamais, autant ri à voix haute en lisant quelque chose… À noter que tout cela se finit tout de même très mal et avec une sorte de non-conclusion étrange, comme s’il fallait tout de même amener un peu de morale dans toute cette histoire.
Couv_def.tif - Je pourrais ici écrire un paragraphe un peu savant sur l’OuBaPo et ses expérimentations graphiques ; sur la façon dont Erwann Surcouf crée avec son fanzine un palimpseste de nostalgie, une œuvre méta-référentielle qui questionne notre rapport au matériel et aux couvertures d’album inscrites dans nos mémoires ; comment son travail de simplification souligne les forces graphiques au travail dans chacune de ces compositions… En vrai, je suis juste bien content d’avoir un chouette fanzine de plus dans ma bibliothèque, et c’est déjà très bien.
J’ai vu :
La Grande Triple Alliance internationale de l'est - Ça commence avec Milouch qui, pour une partie de Hex & the Punks, nous sort une page Wikipédia qui vend du rêve et nous révèle que des membres de sa famille élargie ont fait partie de cette fameuse « Triple alliance » (oui parce que contrairement à moi qui me fantasme un style pseudo-rebelle depuis mon salon de bobo, Milouch elle a du street cred elle)… et puis on découvre qu’il existe un DVD documentant cette étrange entité, on se cale une date avec bières et pizza, et on y va. Alors, qu’est-ce que c’est La Grande Triple Alliance internationale de l'est ? C’est un collectif de groupes de punk des années 2000, qui est peut-être mort et peut-être pas ; c’est une blague qui a été trop prise au sérieux ; c’est des gens qui jouent sous des ponts d’autoroute et des laiteries désaffectées, toustes dans les groupes les un·es des autres, avec des flyers de OUF et des styles musicaux divers et variés qu’on pourrait globalement résumer par « du bruit et de la sueur ». C’est aussi, donc, un documentaire qui recueille la parole de divers acteurs et actrices de cette chose, avec un sens du montage absolument incroyable, qui nous abreuve d’images en feu sans nous laisser respirer. J’en aurais franchement pris 2 heures de plus sans problème…
J’ai joué à :
Princess Peach: Showtime! - On ne va pas se mentir : si je n’avais pas eu une fille de 5 ans à la maison que j’ai envie d’initier peu à peu aux jeux vidéos, je n’aurais sans doute pas acheté celui-là qui est OK tier at best. Il y a quelque chose de très chouette à faire enfiler de multiples rôles à Peach, déclinant la manière de jouer de très différentes façons, mais cela aboutit souvent à des niveaux un peu répétitifs et à la difficulté extrêmement peu présente (même travailler à un 100% n’est pas tant difficile que très frustrant, les niveaux n’offrant aucun point de sauvegarde). Le vrai plaisir du jeu a donc résidé pour moi dans le fait de le faire à 2, avec une héroïne à laquelle Madeleine a pu s’identifier à 200%, à travers quelque chose vers laquelle je ne serais sans doute pas allé tout seul… La première d’une longue série ?
J’ai écouté :
Beko_BOX2 - Au visionnage de La Grande Triple Alliance internationale de l'est, je me suis dit que j’avais déjà vu cette croix quelque part, et pas seulement parce qu’elle m’en rappelait une autre : bingo, la voici, quelque part dans les 486 Go de musique présents sur mon ordinateur. C’est un bon aperçu, il me semble, de ce que pouvait donner cette scène musicale : l’ardeur saturée de The Dreams, le faux surf rock cool de Mil Mascaras, l’électro discordante de The Feeling of Love, la bande-son de fin du monde de Dolphin Nazis, la litanie infinie de Funk Police… Et si ça ne te suffisait pas, Beko remettait le couvert bien plus tard avec un split entre The Dreams et Delacave, avec notamment une formidable reprise de Julien Clerc et une descente dans des grottes musicales. Voilà, c’était (c’est ?) ça, LGTAIE, un pan de la musique étrange qui s’ébattait dans les années 2000 mais aurait aussi bien pu traîner sur de vieilles cassettes des années 80, voire venir d’une autre planète.
L’arrière-queer de Milouch :
Pourquoi les femmes ont une meilleure vie sexuelle sous le socialisme ?
Un petit bouquin absolument passionnant sur les impacts très concrets du capitalisme et du socialisme sur les femmes dans les couples hétéro. C'est pleins de réflexions super intéressantes sur la façon dont la pression économique induit les comportements et prive de liberté les meufs. Il y a notamment tout un passage où l'autrice démontre comment le fait d'avoir de grandes inégalités salariales entre genre associés à un système social complètement aux fraises incite clairement les meufs à abandonner leur emploi pour s'occuper des gosses, les plaçant directement sous la coupe financière de leur mecs. Le style est clair, précis, basé (comme disent les jeunes sur Twitch). L'autrice prend notamment 20000 précautions oratoires pour expliquer que non, elle n'est pas une nostalgique de Staline ; elle est également assez juste sur le sujet de son étude, expliquant qu'elle a essentiellement travaillé sur des questions relatives aux hétéros et que même si elle ne les a pas traités, les questions queer seraient aussi à prendre en compte... Je suis un peu moins conquise par la fin du bouquin qui se noie un peu dans un relativisme très « féminisme de meuf cis blanche »… Mais bon, j'imagine que conclure par : « aimons-nous sur la barricade car à 5h nous serons toutes mortes » c'était un peu trop radical.
Ça ferait un très bon titre de jeu de rôle par contre...
Et toi,
qu’as-tu compoté cette semaine ?
Par ailleurs :
- Au Japon il existe un village des poupées. Ça se veut sans doute charmant ; ça ne l’est pas.
- 27 ans à prendre en photo ses parents qui font au revoir de la main.
- Je découvre, esbaudi, que les noms rigolos pour des groupes d’animaux en anglais ne sont peut-être, là aussi, qu’une vaste blague qui aurait été prise trop au sérieux. En même temps, “a murder of crows”, on aurait pu se douter que c’était n’importe quoi…
Des bises
et peut-être à dimanche prochain, si tu as échappé au gorille de l'espace.