La compote de Côme #191
Des squelettes, des astronautes et des suisses.
Du dimanche 22 septembre au dimanche 29,
J’ai lu :
Heroes of Cerula - Déjà que je me noie sous les jeux à lire, alors si en plus j’en lis la semaine passée et j’oublie de t’en parler… En plus, un jeu de rôle qui crie par toutes ses pores un hommage aux Zelda d’antan (et non celui dans lequel je me suis aventuré cette semaine) ça ne pouvait que m’attirer ! Niveau graphisme, rien à redire, tout est là ; niveau gameplay, en revanche, je m’avoue un peu déçu car on a là une variation OSRisante de plus avec une logique de jeu vidéo, avec un goût de trop peu qui ne sied pas à l’inspiration originelle. J’avais un peu d’espoir avec la variante solo du jeu (car franchement, faire du Zelda avec un groupe de personnages, ça ne peut pas marcher) mais las, elle se base entièrement sur des tables aléatoires avec cet insigne insulte : on est censé inventer les puzzles que notre personnage va s’empresser de résoudre dans les donjons… Dans le genre principe de Czege, ça se pose là.
Barth Fights 1,000,000 Skeletons At Once By Himself And One Of Them Is Very Strong! - J’ai un faible pour les titres absurdes et à rallonge et BF1SAOBHAOOTIVS est un challenger de haute volée, surtout quand il lui ajoute une chouette maquette et un principe complètement crétin : un combat presque sans fin contre des hordes de squelettes, oui, mais en incarnant un personnage totalement détestable qui au fond mérite un peu ce qui lui arrive. Ça n’a aucun sens, c’est même sans doute injouable, mais c’est très certainement un de mes coups de cœur de la semaine.
Immatériel - Il se trouve que j’ai lu cette bande dessinée peu de temps après un excellent dossier de Libération sur les personnes atteintes du syndrome de Diogène, qui les pousse à ne rien jeter et à tout accumuler chez elle, au mépris de la logique et de l’hygiène. Immatériel commence sur ce sujet, mais va rapidement prendre des tangentes et des airs de récit fantastique : au fil des pages, on saute d’un éclat graphique, d’un personnage à l’autre, jusqu’à ce que l’album se révèle plutôt être centré sur la solitude de tout un chacun, à la ville comme ailleurs. Décidément, Jérôme Dubois dépeint les névroses et les angoisses comme personne et s’installe comme l’un de mes auteurs de bande dessinée préférés.
Tonight, Tonight - Avec son jeu du mois d'août, Grant Howitt se fait le cadeau de revisiter son tout premier jeu en une page, chose que je ne tenterai personnellement pas mais dont je comprends tout à fait l’envie (c’est pas pour rien que j’ai revisité trois de mes propres jeux plus tôt dans l’année. Retour, donc, à ce décor ultra cliché mais ultra-efficace du cyberpunk sous une pluie de néons, avec une réelle amélioration par rapport à la première version du jeu : pas forcément en termes de mise en page (je ne suis pas hyper fan de cette esthétique tape à l’œil) mais avec un principe hérité de l’invincible système Otherkind dans lequel on place des dés pour essayer de parvenir à nos fins sans trop de dégâts. Ça donne envie de voir ce que donneraient d’autres revisitations de jeu !
Excavation One - Ce n’est pas un jeu agréable que celui-là, nous prévient la première page, mais en réalité je ne suis même pas sûr qu’il s’agisse vraiment d’un jeu : il y a bien des instructions, des jauges à remplir, des choses à faire de plus en plus sombres, mais quelqu’un va-t-il vraiment y jouer ? Ça a plutôt l’air d’être le genre de choses que l’auteur avait besoin de faire, et dont le message peut porter au cœur sans avoir besoin d’y passer plusieurs heures. Une sorte de lyric game à propos d’un deuil et de problèmes d’addiction, à la fois abstrait et étrangement touchant.
Of Whites & Reds - Un autre « jeu » avec des guillemets autour, le propos de OW&R est au moins clair : faire la révolution en renversant le MJ et l’histoire qu’il tente d’imposer et en laissant le peuple (les joueurs) se saisir des moyens de production (narration). Le tout est motorisé avec une sorte de système PbtA, se présente avec les atours d’un manifeste politique d’il y a un siècle… et est d’une opacité totale dans la partie réservée au MJ, dont le style verbeux (imitant parfaitement ses inspirations !) m’ont totalement empêché de comprendre comment, exactement, pourrait se dérouler une partie de OW&R. Mais ce n’est pas bien grave, car rien que l’objet en lui-même force l’admiration !
Donjon Crépuscule tome 113 - Bon, il est où ce wiki monté par des fans de Donjon ? Car j’avoue que je commence à être perdu dans toutes les intrigues qui se déroulent en parallèle, et que j’ai abordé ce tome sans m’embêter à relire les précédents. C’est peut-être pour cela que j’ai trouvé ce volume 113 un peu creux, faisant la transition entre plusieurs éléments de la saga mais sans posséder en lui-même un scénario assez solide pour me convaincre tout à fait. Il reste le plaisir de retrouver le dessin d’Orion, mais j’ai hâte qu’un nouvel arc vienne s’ouvrir sur cette période-là de Donjon et clore celui du coffre aux âmes, qui commence à tourner en rond…
J’ai vu :
On Dirait la planète Mars - L’ami Cédric nous avait chroniqué ce film il y a quelques temps et m’avait bien donné envie de le voir, en soulignant l’aspect absurde de cette mission pas-sur-Mars. J’y ai bien sûr trouvé cela mais aussi le charme d’un petit film en quasi huis clos, presque une pièce de théâtre dans laquelle les rôles et les couches de réalité se mélangent, un flou régnant jusque dans l’esprit des personnages quant à savoir d’où ils parlent et comment ils se sentent les uns avec les autres. « Absurde » est bien le mot pour qualifier ce film qui ondule agréablement entre la comédie et le drame, sans jamais se positionner tout à fait entre les deux mais sans non plus rompre son délicat équilibre. Bref, une chouette découverte !
J’ai joué à :
Filmechanism - Il me reste encore quelques niveaux à terminer pour pouvoir dire que j’ai fait le tour des énigmes de Filmechanism, mais en attendant je me sens à même de chanter les louanges de ce petit jeu de puzzle ! Comme les meilleurs du genre, il tourne autour d’un seul concept (celui de pouvoir rembobiner, une seule ou plusieurs fois, une partie du niveau qu’on aura fixée au préalable) et en offre une myriade de variations venant toutes apporter un petit quelque chose à l’ensemble. La courbe de progression est très plaisante puisqu’un astucieux système de progression nous permet de choisir à quelle difficulté on se confronte à un moment donné, et le système d’indices progressifs nous permet de décider si l’on se divulgâche totalement une solution impossible à trouver, ou si on attend juste un petit coup de pouce nous orientant dans la bonne direction.
J’ai écouté :
Cerno saison 4 - Ça y est, c’est la saison dont on m’avait parlé avant que je commence Cerno : celle où un détour conséquent est fait et où les épisodes finissent par s’intéresser à des choses qui dépassent le cadre de la simple (anti-)enquête ou même du témoignage. C’est tout à fait logique par rapport à la volonté de Cernobori de ne négliger aucune piste, et ça n’en reste pas moins intéressant, mais j’ai eu peur que la trentaine d’épisodes de Cerno qu’il me reste à avaler n’emmènent le podcast trop loin de sa ligne initiale… Il ne semble pas que ce soit le cas, mais j’imagine que la réponse définitive se trouvera dans la saison 5 !
Velma, La pointe Farinet, 2949m. - Je t’avais déjà parlé de la face expérimentale de Velma, ce groupe suisse qui faisait de la musique pour expositions à base de boucle, mais j’avais envie cette semaine de te parler de leur dernier album, effort plus commercial et bien plus réussi à mon goût. Oh, on reste dans les boucles et ce phrasé-chanté si caractéristique, mais avec des courants plus sombres, pas si loin au final du trip-hop de Massive Attack. Il y a une volonté explicite de produire des titres qui accrochent immédiatement l’oreille avec leurs envolées électriques et leurs hooks si efficaces ; mais le risque n’est jamais loin, dans un album où les bossa nova côtoient les reprises de Motörhead, où l’on nous fournit une recette de blanquette en musique et un peu de field recording venu d’ailleurs, et où les paroles sont globalement empreintes d’un mystère total. C’était sans doute là la pointe de ce que Velma pouvait nous offrir en guise de matière sonore, et le groupe ne publia plus rien dans les 19 années suivantes, ce qui continue tout de même de me chafouiner.
L’arrière-queer de Milouch :
Histoire d'une domestication de Camila Sosa Villada
Je vous avais déjà parlé de Sosa Villada avec Les Vilaines et voici son nouveau livre, tout chaud, tout juste paru !
Histoire d'une domestication (meilleur titrage de l'histoire des titrages) c'est un livre qui comme son héroïne ne s'excuse pas.
Passé cette formule un peu éculée, qu'est ce que ça veut dire ?
Ça n'est pas un livre de pédagogie / de description sociale... C'est un livre dont l'héroïne principale est une actrice trans qui va nous raconter une tranche de sa vie découpée au hachoir. On n’est pas là pour expliquer c'est quoi une femme trans, pédagogiser par le biais d'un récit... Non, on nous plonge dans la réalité directe et crue. Et je trouve ça trop bien.
Le livre brasse pleins de questions autour : c'est quoi être queer ? Qu'est-ce qu'une relation hétéro ? Qu'est-ce qu'une relation gay ? Qu'est-ce que le désir ? Qu'est-ce que le désir des femmes trans... ? Mais toujours en étant du côté de son personnage. C'est un point de vue sensible et personnel et pas une tentative d'exemplification. Ça permet un texte super libérateur où le personnage principal prend de l'épaisseur parce qu'il est vraiment personnage (et pas la projection d'une personne trans universelle). Ça donne aussi accès à des choses trop peu représentées comme des conflits entre personnes queer sur ce qu'est la queerness, c'est quoi être trans... Il y a quelques moments d'anthologie sur cette querelle entre les anciens et les modernes et vous le savez, moi on me met un personnage queer un peu agé.e, j'adhère tout de suite...
L'ensemble baigne dans un style un peu Gabriel Garcia Marquez avec plus de violence (beaucoup plus) et moins de magie (beaucoup moins). C'est un livre fort, intime, sans peur, mais peut être pas sans reproche.
Et toi :
Julien : On a moonlit night in Iran with Katayoun - Mes lundis sont souvent paisibles et un peu mélancoliques. Depuis quelques années, c’est une journée que je passe chez moi à partager mon temps entre les tâches ménagères et les dernières préparations de la semaine de cours à venir ou la fin de correction des copies de la semaine précédente. C’est aussi l’occasion de faire des découvertes musicales ou podcastiques pour accompagner ces activités pas toujours très passionnantes. Cette semaine, j’ai passé 45 minutes avec Katayoun, programmatrice et archiviste sonore basée à Amsterdam, d’après la description de la vidéo Youtube de la chaine MAJ à laquelle je fais référence aujourd’hui : “On a Moonlit Night in Iran with Katayoun”. Si j’ai déjà passé un peu de temps sur MAJ, c’est par hasard que je suis tombé sur cette vidéo. Et je ne le regrette pas une seconde. À peine la musique lancée, on se retrouve embarqué par un orgue électrique des années 70, une ambiance psychédélique et la voix de Kourosh Yagmaei, guitariste et artiste rock iranien ayant débuté sa carrière en 1973. Khaar, le morceau d’ouverture, date de son premier album Gol-e Yakh. « Je suis comme un buisson d’épine sur la terre, dans le désert, tu es comme une pluie battante, tu me fais grandir. Si je suis seul sur terre la nuit, tu es comme la lune immense qui me regarde » (traduction du perse vers l’anglais trouvée sur lyricstranslate.com puis passées en français par mes soins, vous excuserez le décalage inévitable avec le texte initial). Les morceaux s’enchaînent ensuite, semblant venir de temps anciens et révolus, avec des voix féminines et masculines, des guitares et des flutes, des percussions ou de l’harmonica. Je me suis demandé pourquoi ce voyage musical me touchait autant. C’est, je pense, lié à deux éléments. Le dernier morceau « Bi To Man Kasi Nadaram » (Without you, I don't have anyone) de Ramesh chanteuse iranienne iconique (d’après Youtube) d’avant la révolution iranienne de 1979, me rappelle beaucoup un de mes morceaux préférés : « One more Cup of Coffee (Valley Below) » de Bob Dylan, accompagné par Emmylou Harris, sur l’album Desire de 1976. Et c’est en cherchant des informations sur Ramesh que j’ai identifié le deuxième élément. L’Iran d’avant la révolution hante mon histoire familiale comme une terre mythique, un endroit mystérieux où ma mère a vécu avec sa famille pendant quelques années d’adolescence. Je ne compte pas les soupirs de nostalgie de ce pays où « on mangeait le caviar à la cuillère » que j’ai entendus dans mon enfance, et les photos de l’époque, le contraste avec le régime islamique qui a suivi. Écouter la musique de cette période, d’un pays dont je ne sais rien à part les quelques souvenirs d’une famille d’expats privilégiés, ça me plonge dans un rêve éveillé. Une illusion temporaire qui se marie bien avec les accents psychédéliques de la musique choisie par Katayoun.
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Par ailleurs :
- Dans cette tempête de merde qu’on nous force à avaler chaque jour, il y a quelques rayons de soleil, comme par exemple un procès contre Elon Musk lancé par les créateurs de Cards Against Humanity (par ailleurs un jeu médiocre, mais là n’est pas le débat).
- Je ne sais pas d’où vient cette carte de Tasmanie mais elle est fantastique.
- Ça fait un moment que je voulais regarder Internet Exploreuses et je m’y suis enfin mis avec le premier épisode de leur deuxième saison. Eh bien c’est fort sympathique, avec des réflexions sur la disparition d’Internet (vivement) et une tentative de me faire replonger dans Skibidi Toilet contre laquelle il me faut rester fort.
- Je rêve d’un truc comme ça dans les couloirs de mon lycée…
- Une interview exclusive de la célébrité numéro 6. Et si vous avez manqué le début, c’est par là.
Des bises
et peut-être à dimanche prochain, si t’as pas perdu ta bonne humeur.