La compote de Côme #177
Du dimanche 16 juin au dimanche 23,
J’ai lu :
Même les monstres ont un cœur - Ça faisait un moment que ce jeu de Khelren me faisait de l’œil, de par sa proposition alternative à Monsterhearts, au moins dans ma tête : j’aime l’idée de jouer un monstre comme métaphore à peine voilée des identités laissées pour compte, mais je l’ai déjà assez dit ici, j’en ai un peu soupé des jeux propulsés par l’apocalypse. MLMOUC (ça se prononce sans doute « meulmouc », et c’est une assez bonne raison en soi pour acheter le jeu) vient simplifier tout cela : plus de MJ, d’abord, mais une gestion collective des scènes pensée pour des histoires ramassées, où le nombre de scènes est compté et où les joueuses négocient les échanges de jetons pour pouvoir intervenir ou incarner temporairement un personnage secondaire. C’est plutôt bien pensé, léger comme tout, bref le genre de propositions que je ressortirai volontiers à l’occasion !
Justicar - Je n’ai jamais touché un pixel de la saga des Ace Attorney et je m’en fais peut-être une représentation totalement déformée, à base de procès totalement ridicules, de retournements de situations improbables et d’avocat·e·s haut en couleur. Quoiqu’il en soit, Justicar me paraît être l’incarnation parfaite de tout ceci en jeu de rôle, avec ses procès totalement ridicules, ses retourne… Bon, tu as compris l’idée. Le tout se gère collectivement avec des conflits d’intérêts dans tous les sens et des jauges d’épiphanie qui permettent de soudain se rendre compte d’une vérité fondamentale d’un procès : ça a l’air diablement rigolo et il y a de bonnes chances pour que j’y joue cet été, j’ai hâte !
Akumakun tome 1 - Grâce à mon accès privilégié aux publications de Cornélius (chut faut pas le dire) je continue de découvrir livre après livre l’œuvre sympathique de Shigeru Mizuki, pleine de monstres et d’aventures rocambolesques. Ce premier tome de Akumakun s’inscrit complètement dans cette veine, avec un garçon qui invoque un diable un peu bête et se retrouve aux prises avec des Yokai et autres monstres bien trop gros pour lui. Ça part dans tous les sens, il y a des erreurs de continuité qui ne gênent personne, c’est un très efficace page turner un rien pulp qui se lit en un rien de temps !
Quand tu écouteras cette chanson - Je m’engage ici solennellement à davantage écouter ma compagne quand elle me recommande de lire des trucs, ça m’évitera de passer des années avant de (re)découvrir d’excellents bouquins comme celui-ci ! Il y est question d’une nuit dans un musée, comme les autres ouvrages de cette collection, mais puisque c’est ici du musée Anne Franck qu’il s’agit, le projet prend une autre dimension ; et outre une décortication en règle du célèbre Journal (que tout ceci m’a donné sacrément envie de lire) et de son contexte d’écriture, c’est une réflexion multiple à laquelle se livre Lafon, autour du génocide perpétré par les nazis, bien sûr, mais aussi autour de l’adolescence, la façon dont on peut s’ancrer dans les mémoires, et les failles irréparables et poignantes créées par la tragédie. Un très beau livre, qui m’a confirmé tout le bien que je pensais de l’œuvre de Lafon.
Hostile Work Environment - Je ne suis pas particulièrement réceptif aux jeux de rôle centrés presque exclusivement sur le combat ; d’ailleurs, le combat en général a tendance à me lasser dans le JdR. Mais il y a quelque chose d’original dans le dernier jeu-en-une-page de Grant Howitt qui vainc mes résistances : l’idée d’un environnement de travail à la Sorry To Bother You (cité comme inspiration) mais en version ultra-violente, ça me plaît, et les règles présentent ce parfait équilibre de simplicité et de profondeur qui m’inspire. Bref, la règle selon laquelle les jeux d'Howitt sont particulièrement bons quand ils s’éloignent du rigolo-pouet-pouet se confirme !
False Kingdom - Peut-être suis-je dans une phase « Moyen-Âge tordu » sans le savoir ; toujours est-il que je n’en sors pas cette semaine avec un jeu dans lequel on joue les hérauts un rien branques d’un roi complètement foutu, essayant de se tirer la bourre à coups de hauts faits avant l’arrivée du vrai roi qui va venir mettre de l’ordre dans tout ça. Le jeu utilise une variante simplifiée du système de Blades in the Dark dont le principe de spirale descendante me déplaît en général mais colle bien, ici, avec cette ambiance de course désespérée ; par ailleurs, FK ne propose que des prétirés à jouer, une proposition qui m’attire de plus en plus avec le temps. Le tout très bien présenté et tout à fait gratuit, ce serait dommage de passer à côté !
J’ai vu :
Paris is Burning - Salut, c’est le retour du mec blanc cishet qui découvre l’histoire du milieu queer avec des décennies de retard ! Paris is Burning est en effet une sorte d’aperçu de ce que pouvaient être les balls (pour résumer très très vite, des défilés de personnes queers, en drag, sur différents thèmes) à New York à la fin des années 80. Ça va très vite et ça couvre énormément de sujets, couvrant les rapports du ball à la classe, la race, le genre évidemment… En bondissant d’un·e protagoniste à l’autre, et en insistant sur la catégorie “realness” dans laquelle on parodie l’apparence hétérodoxies stéréotypie, le film effectue davantage une plongée qu’une dissection analytique, et c’est très bien comme ça ! C’est une porte ouverte vers un milieu dont j’ignore à peu près tout, mais dont chaque aperçu me donne envie de creuser un peu plus loin…
Jessica Jones saison 1 - Il y a une éternité qu’on m’avait recommandé Jessica Jones, mais je l’avais un peu mis de côté, lassé notamment par le raz-de-marée de machins avec des super-héros qui a dominé les petits et grands écrans pendant des années (et qui semble se calmer un peu dernièrement). Voir cette première saison 9 ans après sa première diffusion me rend un peu plus critique que les avis très positifs que j’avais entendu à son sujet : oui, derrière une intrigue super-héroïque, on retrouve un traitement assez intéressant des relations toxiques et de la façon dont les hommes peuvent empoisonner leurs compagnes et leurs ex, et David Tennant est extrêmement efficace en méchant à la voix terrifiante. Néanmoins, l’ambiance très sombre, la tronche perpétuellement râleuse de Krysten Ritter et quelques longueurs dans l’intrigue, notamment dans ses arcs secondaires, m’ont un peu ennuyé. Une belle découverte, donc, mais qui me fait craindre le pire pour les 2 saisons suivantes, que même les gens les plus positifs m’ont décrit comme ratées…
J’ai joué à :
Blossom Tales: The Sleeping King - Vu que j’ai récemment acquis Blossom Tales 2, je me suis senti obligé de rejouer au premier, histoire d’être sûr de ne pas passer à côté d’aspects narratifs cruciaux. Spoiler : le jeu ne contient pas vraiment d’élément narratif crucial, ce n’était donc pas obligatoire… Sur le reste, je pense à peu près la même chose qu’il y a trois ans : le gameplay est un peu répétitif et parfois un peu trop ardu pour rien (non seulement dans les combats mais aussi dans des énigmes de type Simon says, auxquelles je suis nulles), et si son graphisme tout en pixel m’a séduit, ainsi que son côté mise en abyme (tout le jeu est une histoire racontée par un papy à ses petits-enfants), une fois de plus je n’ai pas eu une envie folle d’aller explorer les à-côtés de Blossom Tales et en suis vite venu à bout. On verra si le 2e opus fait mieux !
J’ai écouté :
Luce, Chaud - Comment ai-je pu passer 176 épisodes de la compote sans te parler de Luce ?! Pourtant c’est peu dire que ce disque, qui me fait remuer du popotin dès sa première note de guitare, est un classique chez nous. Personnellement, je connaissais pas du tout Luce avant de l’entendre, par surprise, dans un concert de Matthieu Boogaerts (celle-là est pas dans le disque, c’est cadeau) ; c’était pourtant évident qu’il s’agissait là du double d’un de mes chanteurs fétiches (tiens, j’aurais pu dérouler sa discographie à lui aussi !), et d’ailleurs Chaud est quasiment un album de Boogaerts caché avec une voix féminine à la place de la sienne. Enfin pas tout à fait : Boogaerts lui-même n’aurait pas pu assumer une chanson sur la séduction, et encore moins sur le besoin de sexe là tout de suite maintenant, sans parler d’une 3e sur les orgasmes ratés. Enfin, Chaud ne parle pas que de cul ou de cuite, mais aussi de nostalgie de l’enfance, tout en douceur… Le tout avec le verbe si particulier de Boogaerts et une épure musicale qui me touche particulièrement. Bref, cette erreur monumentale étant réparée, tu m’excuseras mais j’ai un popotin à remuer.
Et je ne sais toujours pas si je vais me relancer dans une grande saga musicale ou pas, car assez peu de personnes ont donné leur avis sur la question, je continue donc de coller mon sondage ici :
L’arrière-queer de Milouch :
Environnement toxique - Tout est dans ce titre programmatique. Kate Beaton raconte ici les années qu’elle a passées dans les exploitations de sable bitumeux en Alberta. Un environnement d'industrie lourde, très lourde et dont l'ambiance est lourde, très lourde. En effet, elle tire brillamment un parallèle entre l'exploitation industrielle de l'environnement et la toxicité que cette exploitation y crée et le patriarcat le plus absolu qui est de rigueur entre les travailleurs de cet environnement. Et je dis « les travailleurs » à dessein car c'est un milieu extrêmement masculin où le sexisme est partout et où évoluer en tant que meuf c'est se sentir comme une proie. Pour travailler personnellement en contact direct avec ce milieu super industriel et super masculin, tout ce qui est raconté dans ce livre est véridique, courant et présent dans ces environnements de travail. Et la force de Kate Beaton, c'est de montrer avec beaucoup de subtilité comment on évolue en tant que meuf dans cet espace. Comment elle éprouve de la colère envers ce collègue qui a eu des mots et des gestes plus que déplacés et comment elle peut éprouver aussi de la tendresse pour lui parce que l'environnement dans lequel ils évoluent est monstrueux et que lui aussi y sacrifie sa vie. Qu'est-ce que c'est de croiser son violeur sur son lieu de travail, comment on vit quand chacun de nos gestes peut être compris comme une invitation à une relation sexuelle. La BD est toujours fine et sait dans une économie de mot montrer l'ambivalence, la haine et le désespoir qui dévore tout. Ce que cette BD décrit c'est le quotidien des meufs dans l'industrie et il est plus que temps qu'il change.
Et toi :
Cédric - Que faire quand on est un réalisateur québécois, qu'on veut tourner un film de SF mais qu'on a, comme souvent, un budget inférieur au pognon que coûte la salle de musculation que The Rock fait voyager avec lui quand il est en tournage ? Et bien on utilise des expédients. Ou s'arrange. On fait autrement. Viking (qui a été commercialisé en France sous le titre « On dirait la planète Mars », et je me mords les lèvres pour ne pas vous dire à quel point je trouve ça débile) raconte une histoire abracadantesque : alors que 5 astronautes américains sont en mission pour coloniser la planète Mars (la vraie, pas celle de l'album d'IAM), une compagnie québécoise (Viking) recrute 5 individus ayant le même profil psychologique que les astronautes et les isole dans le désert. Chaque jour, on leur indique quel est l'état d'esprit de l'astronaute qu'il représente et le conflit ou le situation problématique que le groupe vit, et ils doivent essayer de reproduire la scène pour que des observateurs en tirent des pistes d'amélioration qui sont transmises à Mars afin d'améliorer les choses. Mais bien sûr, le désert de l'Alberta n'est pas vraiment la planète Mars. Et ces 5 ersatz d'astronautes pataugent dans le grande n'importe quoi de cette mission irréelle. Une fois que vous suspendez votre incrédulité pour accepter la prémisse, le film vous propose une belle expérience d'isolement, de projection, d'absurdité managériale et de survie collégiale. Tout cela est parfaitement incroyable, mais fait paradoxalement énormément de sens. Pour les rôlistes, l'idée de jouer un autre personnage à la première personne et lui faire affronter des complications imaginaires est évidente. D'ailleurs, sans surprise, l'un des co-scénaristes est un rôliste notoire. Viking est un film charmant, qui louche un peu vers Wes Anderson par certains aspects, fauché selon certains standards, qui me fait penser au fameux épisode en huis-clos de Breaking Bad sur la mouche qui a été pensé parce que la production n'avait plus de budget : des fois, les contraintes provoquent des choses extraordinaires... ce qui n'est absolument pas une apologie de la réduction des budgets de la Culture, bien au contraire. Si on avait les moyens de nos ambitions, on pourrait réaliser des films sans qu'un distributeur français le renomme « On dirait la planète Mars » parce qu'il pense que le public est trop con pour se rendre compte que ce n'est pas un film sur des guerriers norrois. Tout ça pour dire qu'il n'y a pas besoin de projeter des effets spéciaux sur des écrans LED géants comme dans The Mandalorian pour qu'on pense que les acteurs sont sur Mars : il suffit de prétendre qu'ils y sont dans un « On dirait que » poussé jusqu'à l'absurde.
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Par ailleurs :
- L’archéologie, c’est du sérieux, OK ?! (Merci Les Jours !)
- Je n’ai que rarement des rêves extraordinaires, mais maintenant je peux lire ceux des autres, et peut-être les tiens à l’avenir, qui sait ? (Merci Camille !)
- À mon sortir de Hildegarde, une fantastique conférence-dialogue de Léo Henry où il est question de ce qu’est la littérature, comment elle s’insère dans un système capitaliste, comment tout cela a un lien avec la magie, et comment Hildegarde a été écrit, à savoir d’une façon quasi identique à la façon dont j’ai écrit le Guide de Mande-la-Forêt et L’Envers du Dédale, ce qui me rassure dans mes névroses (Merci Milouch et Eugénie !).
- L’histoire passionnante des 5000 vélos abandonnés à Burning Man en 2017.
- Milouch n’écrit pas que des chroniques d’arrière-queer, c’est également l’autrice du seul quiz qui en vaille la peine : quel type de pylône es-tu ?
Des bises
et peut-être à dimanche prochain !