La compote de Côme #168
Du dimanche 21 avril au dimanche 28,
J’ai lu :
Ever Dream This Man? - Était-ce un hoax ? Un vrai rêve collectif ? Un meme échappé dans la réalité ? En tout cas, “This Man” fut un phénomène avant d’être un jeu de rôle, dans lequel on incarne des rêveurs tentant d’échapper à son emprise, et cela n’en rend le dernier jeu d’Adam Vass que plus fascinant. En quelques pages, il mêle adroitement construction de playlists, dessin collectif et tirage de tarot pour mettre sur pied un storygame onirique et angoissant, un cauchemar en forme de compte à rebours et, comme souvent chez lui, un bijou de game design.
Fanzine La Cale N°2 - La thématique du 2e numéro de ce fanzine, en anticipation du cauchemar qui va s’abattre sur les parisiens (et, dans une moindre mesure, le reste de la France) cet été était tout trouvé ! Ce qui est très chouette, c’est que les auteurs et autrices ont interprété « Du pain et des jeux » de diverses façons ; entre une version JdR du sport-spectacle et un jeu dans lequel il faut se faire s’affronter des bonhommes en mie de pain, à peu près toutes les variations sont là… Je regrette un peu que les jeux soient majoritairement orientés vers l’angle « bizarroïdo-rigolo » là où quelque chose de plus sérieux aurait pu avoir sa place, mais eh, j’avais qu’à participer au lieu de râler !
La Fabuleuse Méthode de lecture du professeur Tagada - Originellement acheté pour Madeleine, qui a décrété qu’elle ne l’aimait pas, j’ai finalement lu tout seul ce petit livre qui m’a fait bien rigoler, comme la plupart des productions de Guillaume Long ! Je n’ai absolument aucune connaissance de la méthode syllabique et serais donc bien en peine de te dire à quel point les conseils et leçons déroulées ici se basent sur des éléments pédagogiques réels (voire, permettent réellement d’apprendre à lire) mais peut-être bien que si ? Et si non, on peut toujours sourire devant des dessins rigolos et quelques blagues de caca pour la route, ce qui n’est jamais du temps perdu.
Orbital Blues - Je ne suis pas plus attiré que ça par les mélanges western et space opera, mais il faut bien avouer qu’Orbital Blues est une référence en la matière et a tout pour lui : une maquette absolument impeccable, qui m’a rappelé celle d’Aventures à plumes par la diversité de ses mises en page ; un système des plus simples, dont le cœur est cette fluctuation de la jauge de blues d’un personnage, qui va servir à mettre sur le devant de la scène son côté tristounet pile quand l’histoire le demande ; et un énorme catalogue de décors prêts à être largués dans une partie, quelque chose dont manquent cruellement bien des jeux indés. Bref, c’est une petite pépite !
Boubelicquot - Cornelius continue à sortir régulièrement de toutes petites bandes dessinées, et je continue à les lire, tout ça n’étant finalement pas bien méchant et ne prenant pas beaucoup de temps, à peine plus qu’il n’en faut pour taper ces notes. Des deux livraisons du printemps, Boubelicquot est la plus mineure : une histoire absurde d’êtres bizarres, de légumes et de lapins géants, avec un style faussement naïf comme bien des auteurs de l’écurie Cornelius (Delphine Panique en tête) ont l’habitude de pratiquer. Il se dégage comme il se doit une sourde angoisse de ces pages, mais pas assez pour que tout cela m’ait réellement intéressé…
Absurd Comics - …en revanche, c’est toujours un plaisir de lire les planches les plus absurdes de Crumb, car elles mettent en avant la plasticité des codes de la bande dessinée, forçant notre cerveau à interpréter comme un récit quelque chose qui ne l’est pas du tout, ou si peu. Le tout sous une plume qui sait invoquer les formes les plus étranges, quand elle n’est, bien sûr, pas occupée à dessiner des grosses fesses ou des caricatures de personnes noires un peu trop gênantes en 2024. Disons qu’il s’agit là de la facette de Crumb que je préfère et que j’aimerais davantage mise en avant que l’autre…
La Septième fonction du langage - C’est l’ami Ben qui m’a signalé ce véritable piège pour l’ancien étudiant que je suis qui s’était vaguement plongé dans les abîmes de la sémiologie sans y comprendre grand chose (juste ce qu’il me fallait pour ma thèse qui ne portait pas du tout là-dessus). Ce roman de Laurent Binet, qui prend pour postulat que Roland Barthes n’est pas mort d’un accident mais d’un assassinat, est une fascinante fable en spirale sur le pouvoir du langage, qui rappelle en passant à quel point l’enquête policière et l’enquête linguistique peuvent se ressembler… Je n’ai aucun moyen de savoir ce qui est vrai ou faux dans ces scènes où circulent pêle-mêle BHL, Kristeva, Umberto Eco, Jakobson, Foucault et bien d’autres côté universitaire, Mitterrand, VGE, Jack Lang, Fabius et une poignée d’autres côté politique, mais je sais que tout ceci est délicieux et que mélanger ce substrat de réel à une histoire pleine de mac guffins, de sociétés secrètes et de complots politiques fait de La Septième fonction du langage un formidable page turner que j’ai avalé avec plaisir !
J’ai vu :
Peacemaker saison 1 - De cette série spin-off de Suicide Squad, je retiens essentiellement son générique d’ouverture absolument parfait dans son délire assumé et maîtrisé de bout en bout. C’est moins le cas de la série en elle-même, qui tâche de transformer ce redneck sociopathe en personnage intéressant et humain, sans tout à fait réussir ni dans le premier cas, ni dans l’autre. Au fond, ce n’est pas si grave car Guin reprend ici la formule de Suicide Squad, c’est-à-dire faire s’agiter une galerie de personnages plus ou moins tordus (ici, plutôt moins que plus) à travers une intrigue de plus en plus déjantée (mais un poil moins que dans le film d’origine). Le reste, ce sont des rebondissements avec des hauts et des bas, et cette tendance un poil irritante d’aller vers des choses plus sérieuses et se voulant émouvantes à mesure que la série avance. Je ne sais pas si je reviendrai pour une saison 2… À moins que son générique ne présente une nouvelle chorégraphie du même niveau !
Putin’s Witnesses - Ah ça, on ne rigole pas beaucoup dans ce documentaire qui retrace l’arrivée au pouvoir de Poutine et ses premières années de président-dictateur, et si j’étais Vitaly Mansky, qui réutilise ici les rushes autorisés par le gouvernement pour charger de plein fouet Poutine, je ferai attention quand je traverse dans la rue. On est saisi ici par les parallèles avec l’histoire récente d’autres gouvernements, y compris le nôtre, et la façon dont Eltsine ne semble pas vraiment comprendre entre quelles griffes il abandonne son pays… Saisis aussi par la froideur calculatrice qui apparaît dès les premiers mois chez Poutine et comment ceux qui l’ont fait accéder au pouvoir le regrettent vite amèrement. Bref, tout ça n’est pas très drôle mais fondamental pour se rappeler comment on peut très vite voir un pays basculer dans la dictature et la répression, presque comme si de rien n’était.
J’ai joué à :
The Summoned - Je vais être honnête : je ne me suis pas vraiment intéressé à l’aspect narratif du jeu, qui parle d’un génie et de toutes les épreuves qu’on doit traverser pour qu’il nous juge digne de faire des vœux, ou un truc comme ça… Ce qui m’a poussé à essayer ce jeu où on lance des palanquées de dés, c’est qu’il s’agit en réalité d’une série de mini-jeux, utilisant des nombres variables de dés et des objectifs chaque fois différents, ce qui est une belle performance ! Les règles de chaque mini-jeu ne sont pas toujours très claires mais j’ai découvert plein de nouvelles façons de lancer des dés pour obtenir le plus haut score possible, et en tant que game designer, ça me fait forcément plein de nouvelles graines à garder de côté pour qu’un jour peut-être…
J’ai écouté :
Nichon Chaton - En fait, j’avais loupé le coche et pas compris qu’après leurs 3 albums, Le Manque avait décidé que le concept d’album c’était mort et qu’il fallait se mettre aux clips sur YouTube à tire-larigot. Je trouve ça dommage pour moi qui ne regarde pas de clips sur YouTube mais c’est chouette que Le Manque continue, surtout après leur tube « Nichon Chaton » en 2016. Quoi, tu n’as pas entendu parler de « Nichon Chaton » ? Dommage, impossible de le retrouver aujourd’hui, mais tu peux toujours te rattraper avec l’album hommage sorti il y a 6 ans chez les excellentes personnes de la Souterraine ! Il a tout ce que j’aime dans un disque hommage : plein de noms que je connais (Gontard, Tycho Brahé, Chevalrex, Chapi Chapo & les petites musiques de pluie, Dylan Municipal, Arnaud Le Gouëfflec, Kawaii, bref une certaine crème de l’ultra-underground de la chanson française) et plein de styles qui viennent présenter autant de manières de réinventer la chanson d’origine : en mode chanson émouvante, en trap ridicule, en captation sonore, en chanson chantée sous la douche, en electro angoissée, en easy listening ou en punk… Le tout, bien entendu, avec la série de clips qui va avec. Bref, tout ça est parfaitement inutile et débile, donc indispensable, et vient me convaincre, si c’était encore nécessaire, que Le Manque est vraiment une paire de types formidables.
L’arrière-queer de Milouch :
Et toi :
Cédric : Cette semaine, ce n'est pas un roman queb introuvable en France ou un film sans explosion ni fusillade mais un jeu de rôles : Eat the Reich. Jamais un pitch n'aura été aussi simple et efficace. L'action se déroule en 1943, dans un Paris en carton-pâte. On y incarne des vampires qui sont parachutés là avec une mission simple : tuer Hitler en buvant tout son sang. Pour cela, les PJ vont devoir traverser plusieurs quartiers parisiens remplis de nazis. Les joueurs vont donc jeter plein de d6 et décrire comment ils massacrent leurs adversaires pour finalement mettre fin à cette guerre. Pas de drama, pas de « Ma dernière étincelle d'Humanité va-t-elle être annihilée par la Bête qui dans mon ombre est tapie ? » : on est là pour de la violence stylisée et cathartique. Pensez Inglorious Basterds. Et pour un jeu qui propose de drainer du sang nazi par gallons entiers, il est écrit avec éminemment de sensibilité sur la chose. De nombreux conseils sont donnés sur ce qu'il est bon de mettre en scène quand le MJ veut incarner les nazis, les limites à ne pas dépasser pour ne pas mettre mal à l'aise les joueurs, l'emploi de stéréotypes nationaux (puisque l'imagerie du juif qui vampirise l'Europe a été largement employée par la propagande nazi)... Le jeu fait tout pour ne pas être une excuse pour certains SS au petit pied (pour reprendre les mots de la grande Simone Weil) de renverser le message du livre. Interdiction de faire un salut autour de la table, par exemple. Il est même interdit à Hitler de faire un quelconque discours lors de la grande scène finale : les PJ lui tombent dessus, décrivent comment ils mettent fin à ce cauchemar et c'est le générique. Et autre détail important : les nazis n'ont aucune excuse occulte d'être des sous-merdes. Ils ne sont pas contrôlés par un vampire plus vieux et plus vicieux. Niveau règles, c'est très léger : on jette des d6 puis on les alloue pour se rapprocher de l'objectif de la scène, pour tuer des nazis, pour boire leur sang (que l'on va pouvoir utiliser pour déclencher des pouvoirs ou se soigner) ou pour se protéger de la horde de soldats qui occupe Paris. Et oui, c'est un Paris de carte postale puisqu'on est là pour mettre en scène une longue série de bagarres avec des SS comme si John Wick s'était trompé d'époque, pas pour singer Lorànt Deutsch. Il y a même 6 pré-tirés pour se lancer très vite dans l'action, c'est une lecture jubilatoire. Une idée simple parfaitement exécutée. Comme quoi, il ne faut jamais sous-estimer la puissance d'un jeu de mots.
Steve : Avoir un jeune fils qui lit beaucoup est l’occasion pour moi de (re)découvrir plein de mangas, qui sont un type de livres que je lisais peu depuis au moins 10 ans. Je suis notamment plongé dans les 15 premiers tomes de Détective Conan, série fleuve (103 tomes traduits !) où un détective génial, inspiré par l’œuvre de Sir Arthur Conan Doyle, est malencontreusement transformé en enfant de 6 ans et va devoir cacher sa véritable identité aux adultes pour mener plusieurs enquêtes. La série est coincée dans « l’éternel présent » dont parlait Umberto Eco à propos des comics de Superman de son enfance : chaque épisode se termine sur une situation rigoureusement identique à celle où il a commencé et, même si elle passe fréquemment à deux doigts de comprendre que Clark est Superman, Lois Lane ne découvre jamais la supercherie. Il en est de même pour Ran, la petite copine de détective Conan, pourtant présentée comme plutôt maligne mais qui reste incapable de comprendre qui est cet enfant qui l’accompagne toujours. Mais qu’importe que la série fasse du surplace, la transformation du héros crée plein de situations délicieusement cocasses et - surtout - la plupart des intrigues sont remarquablement écrites : des récits de meurtres en chambre closes, des huis-clos à la Agatha Christie, des ruses criminelles particulièrement alambiquées, des épisodes empruntant à la structure des Columbo avec un meurtrier connu dès le départ… tout y passe pour le plus grand plaisir de l’amateur de romans à énigmes que je suis. Je termine cependant par un avertissement pour les parents : j’ai un peu regretté de l’avoir mis si tôt entre les mains de mon fils. La série joue souvent sur des idées de mises à mort cruelles (dès son premier tome où une jeune fille est décapitée lors d’un tour de grand huit !) et les cases où l’on découvre les cadavres sont souvent très graphiques. Cela plaira aux lecteurs de Conan Doyle et d’Edgar Allan Poe mais c’est étonnant de voir ça dans un manga destiné aux enfants. Cela m’a évoqué les BD italiennes Dylan Dog qui, par leur ambiance et leurs dessins, font penser aux classiques des BD jeunesse franco-belge… jusqu’à ce qu’on tombe sur des scènes d’assassinats sanglants (et d’érotisme mais ce n’est pas le cas dans Détective Conan).
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Des bises
et peut-être à dimanche prochain !