La compote de Côme #165
Du dimanche 24 mars au dimanche 31,
J’ai lu :
Bound / Bound Together - Bound (et sa variante pour 2 joueurs, curieusement présentée dans un fichier à part comme si c’était un jeu radicalement différent) fait partie de ces projets sur itch qui m’ont principalement attiré par leur belle mise en page : il faut dire qu’il s’agit là d’un parfait exemple de ce qu’on peut faire sans grand talent d’illustration mais avec des compétences en graphisme qui dépassent largement les miennes. Le jeu privilégie parfois les astuces visuelles à la lisibilité mais n’en reste pas moins un modèle du genre : pour ne rien gâcher, sa proposition d’une sorte de road trip à deux, avec un ennemi à nos trousses, est plutôt séduisante et résonne avec ma lecture du Fléau de Stephen King. Ah, si j’avais d’innombrables heures devant moi pour apprendre à produire de telles choses…
Under Hollow Hills - Je continue de nourrir comme une petite plante dans un coin de ma tête cette idée d’un jeu autour d’un groupe partant en tournée ; c’est vraiment une tâche de fond mais ça ne m’empêche pas d’être attentif à ce qui peut s’y apparenter ludiquement, pour commencer à emmagasiner l’inspiration… Under Hollow Hills peut sembler éloigné de tout cela mais finalement, un cirque itinérant composé de membres du peuple fée et des guitaristes de néo-punk pagan mélodiste (ou tout autre courant plus au moins imaginaire), même combat ! Outre donc quelques bribes d’idées sur ce qu’emmener les joueurs et leurs personnages le long d’une route plus ou moins prévue peut donner, UHH est aussi un très bon jeu du couple Baker, qui tourne comme tant d’autres avec un moteur dérivé d’Apocalypse World, avec une structure de partie un peu moins ouverte puisque construite autour du principe d’un spectacle récurrent. De toute façon, lire un jeu de Meguey et Vincent Baker, ça ne peut jamais faire de mal…
Amalia - C’est rare de pouvoir réellement suivre des dessinateurices pendant des années et voir leur style et leur propos s’affiner, atteindre de nouveaux sommets à chaque sortie : c’est le cas pour Aude Picault qui signe avec Amalia un album très justement salué, aussi bien pour son style que pour son récit. Ce dernier n’a en soi pas grand chose d’original, puisqu’on trouve ces dernières années des histoires à la pelle de gens qui se rendent compte que le système capitaliste est pourri jusqu’à l’os, que ce soit sur le plan industriel, professionnel et sociétal, et qui cherchent les solutions pour s’en extraire un tant soit peu ; mais il y a dans Amalia quelque chose d’indéfinissable, une certaine douceur envers ses personnages, y compris dans leur travers, qui fait la différence. Bon, j’ai personnellement trouvé la conclusion de l’album, qui se veut inspirante, un peu déprimante, mais on fait ce qu’on peut avec le monde qu’on a…
Itanésie - Depuis que l’amie Milouch m’en avait parlé dans la conversation que j’ai eue avec elle, j’étais très intrigué par Itanésie, dans cette édition précise c’est-à-dire celle de Papier Gâchette. Je l’ai enfin eue entre les mains cette semaine et je ne peux qu’abonder dans le sens de mon amie : c’est une petite fable plutôt bien tournée et qu’on lit agréablement, certes, mais l’habillage visuel qui l’accompagne, sorte de leporello bilingue français-russe, est magnifique : on déplie d’un côté un paysage enneigé vide de toute vie, et de l’autre côté empli de faune, comme pour mieux faire écho à l’exode du peuple d’Itanésie et son extinction éventuelle. Le genre de livre-objet qui m’inspire…
Stealing The Throne - Stealing The Throne fait partie de ces jeux qui vendent leur prémisse en deux ou trois phrases de manière très efficace : ici, on accepte que dans un futur plus ou moins distant, il existe des énormes robots appelés des « Trônes » qui servirent un jour à combattre quelque ennemi, et qui sont aujourd’hui désactivés. Et nous, on va en voler un. Le jeu ne propose pas beaucoup plus de contexte, et il n’en a pas besoin : ce croisement entre les clichés narratifs liés au cambriolage - le genre du heist, en anglais - et les fictions avec des gros mechs fonctionne très bien, et la mécanique de prise de risque, pour laquelle on utilise des cartes à jouer, semble filer comme sur des (grosses) roulettes. Et comme en plus d’être concis et précis dans son propos, le jeu propose une série de cadres prêts à jouer plus ou moins différents (qui rappellent, et c’est loin d’être un hasard, Face au Titan de l’ami Gulix), ce serait dommage de passer à côté !
Vengeance du traducteur - Je suis attiré, pour tout un tas de raisons, par les livres qui secouent un peu nos habitudes de lecture et tentent des choses matérielles, parfois avec brio, parfois non, mais au moins une frontière a été franchie. Dans cette grande famille-là, une chose est primordiale pour moi : que les règles de la contrainte posée soient suivies jusqu’au bout, qu’il y ait une sorte de détermination à aller jusqu’au bout du propos. Ce n’est hélas pas le cas de Vengeance du traducteur, qui comme son titre l’indique commence avec une idée simple : le traducteur français d’un roman anglophone décide de caviarder le texte d’origine et de s’étendre sur son propre cas et ses propres idées dans les notes de bas de page. Une situation qui n’est pas sans rappeler La Maison des feuilles, ou S., sauf qu’ici le texte d’origine est absent sans grande justification intradiégétique. L’intrigue de Vengeance du traducteur se drape rapidement d’aspects méta et de récits dans le récit dans le récit, ce qui de mon point de vue est plutôt chouette, mais la situation d’origine se dilue vite dans les sous-intrigues et perd en crédibilité ; d’autant plus que l’essentiel du bouquin tourne rapidement autour de personnages masculins qui désirent tous la même femme, avec une multiplication de scènes de sexe qui n’ont vraiment aucun intérêt et jusqu’à un non-dénouement des plus tièdes. Je propose qu’on arrête d’inclure des scènes de sexe tout court dans les romans, car elles sont toujours ratées ; je propose aussi que, quand un auteur pense avoir une idée novatrice et subversive, qu’il cherche d’abord à savoir si elle a déjà été tentée, et si oui, qu’il ait l’énergie de la tenir jusqu’au bout…
J’ai vu :
Todd Tarantula - Les films de série B vont souvent oser beaucoup de choses qu’on ne verra nulle part ailleurs au cinéma, et c’est ce qui fait leur richesse. Par exemple, combien de films osent l’usage du rotoscope sur une fable hollywoodienne impliquant la prise de drogues, des visions du passé et du futur et un crâne qui parle ? Le tout en faisant le pari qu’un personnage prénommé Todd Tarantula et se présentant comme un sous-James Dean déplacera les foules ? Ça m’a en tout cas poussé à regarder ce film comme aucun autre, qui a également les faiblesses de ses forces : le jeu d’acteurs est souvent assez moyen, voire pire, et le scénario assez absurde, tout en restant suffisamment divertissant pour qu’on le suive jusqu’à la fin (fin par ailleurs assez prévisible). Bref, Todd Tarantula est une vraie curiosité, sans doute à réserver à celleux qui ont 1h20 à perdre ou aiment s’aventurer sur les terrains du cinéma tordu.
Une Vie comme une autre - Ils sont chouettes, ces documentaires construits autour d’archives de caméscope accumulées pendant des années : on peut piocher dedans, construire un fil narratif, voir les gens grandir et vieillir au fil des années… Une Vie comme une autre s’attache surtout à une personne en particulier (la mère de la réalisatrice) et en fait un portrait par petites touches, celui d’une femme qui aurait voulu qu’on lui foute la paix et s’est retrouvée mère de famille sans tout à fait être sûre de le vouloir, avec un mari qui filmait ses moindres faits et gestes et venait tirailler sa dépression en devenir avec des questions qui piquent. Je ne sais pas à quel point c’est volontaire de la part de la réalisatrice mais j’ai été franchement estomaqué par ce type qui filme tout sans jamais aider, qui voit (peut-être ?) le malaise s’installer sans rien faire pour le déloger… Un beau petit film, au final, qui dérange autant qu’il émeut.
J’ai écouté :
Katie Dey, The Kraken - Je voulais initialement te parler du dernier album en date de Katie Dey, qui a un son absolument incroyable, une sorte de pop de l’espace virtuel passée à travers 1000 filtres pour nous arriver dans toute sa beauté, mais je me suis dit que c’était peut-être une introduction un peu rude à l’univers de cette chanteuse que j’ai découverte il y a quelques semaines et que The Kraken était plus abordable. On reste néanmoins dans un monde où les instruments et les voix sont glitchées, comme une musique qu’on capterait par accident entre deux stations de radio, fragile et précieuse ; une beauté ici rehaussée par le fait que 3 des 5 morceaux de cet EP sont des adaptations de poètes britanniques (Tennyson, Dickinson et ee cummings). Il y a par moments un son un peu « Björk époque Vespertine » (notamment sur la piste éponyme) mais c’est en réalité plus subtil que ça : Dey se fait lyrique pour accompagner ce romantique de Tennyson, coupe discrètement ses boucles musicales pour aller avec la rythmique arythmique de Dickinson, juste ce qu’il faut de déstructurée et tordue pour interpréter cummings… Mais les deux dernières pistes de The Kraken montrent à quel point l’univers de Dey est unique et résistant à toute tentative de définition, un discret diamant sur lequel la chanteuse est autant à nu qu’elle le peut, et quelque chose qui s’échappe vers les astres à l’aide de quelques propulseurs mal fichus. Bref, la musique de Katie Dey n’est pas de ce monde, et je suis bien content qu’elle me soit tombée dessus !
L’arrière-queer de Milouch :
Et toi :
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Des bises
et peut-être à dimanche prochain !