La compote de Côme #164
Du dimanche 17 mars au dimanche 24,
J’ai lu :
Les Nouvelles Aventures de Lapinot tome 3 - Je te chantais la semaine dernière les louanges de Lewis Trondheim, mais j’ai déjà aussi plusieurs fois répété dans cette compote que le bougre a quand même vieilli et sans doute publié plus de bons albums qu’il n’en publiera. Prosélytisme et morts-vivants n’est pas de ceux-là : il est bâti sur une intrigue plein de faux-semblants qui se résout en un climax peu convaincant et réussit l’exploit d’introduire un personnage encore plus énervant que Richard, qui promettra plein de mystère mais n’en révélera aucun. Bref, c’est l’autre versant de la méthode Trondheim : se lancer dans un album avec une idée et demi en espérant que ça donnera quelque chose de chouette, ça ne peut pas marcher à tous les coups…
La Ciudad De Fractales Que Se Multiplican - Un jeu de rôle qui permet d’écrire sa propre nouvelle de Jorge Luis Borges n’était pas quelque chose auquel je m’attendais en 2024, et pourtant, le voici… C’est un jeu de rôle mais aussi d’écriture, un jeu où l’on crée une nouvelle en commun, avec tous les clichés borgésiens, depuis les notes de bas de page aux quêtes insensées en passant, évidemment, par les récits contradictoires et parallèles. On sait que la personne qui a écrit le jeu connaît l’œuvre de l’écrivain et ne perd pas de temps avec des fioritures rôlistes inutiles : bref, si tu cherches la meilleure version possible de « Borges, le JdR », la voilà, et pas uniquement parce que c’est la seule !
The Goats - Mais si, tu l’as déjà vu, ce film qui date des années 90 : il y a une conspiration gouvernementale, et on veut faire porter le chapeau à un pauvre type, et il sue tout son possible pour échapper aux griffes de types avec des costumes et des voitures qui vont vite, et à la fin il prouve à la face du monde les malversations qu’on voulait dissimuler… Eh bien voilà exactement ce que propose The Goats, dans une ambiance musclée qui laisse peu de temps au répit et qui pousse les joueurs à empiler des dés jusqu’à ce que ceux-ci s’écroulent avec fracas. Simple, direct et efficace, que du bon !
Contes du caniveau - Des paumés de fond de ruelle ; des zonards qui traînent en plein été, donnant un peu de leur sang pour se faire de l’argent ; des obsessions, encore et toujours, sur le corps des femmes ; l’horreur tranquille d’un quotidien voué à ne jamais changer… C’est le genre d’ambiances pesantes qu’on trouve dans les histoires courtes de ce recueil de Tadao Tsuge, frère de Yoshiharu Tsuge dont les éditions Cornélius avaient déjà publié de nombreuses planches. C’est sans pitié et, comme souvent avec les mangakas publiés par Cornélius, empreint d’une certaine tendresse envers cette humanité au rebut…
To Change - Naïf, il achète un jeu de rôle parce qu’il y est question de magie et de cartes de tarot, et se retrouve avec un jeu parlant (un peu) de transidentité et (beaucoup, beaucoup) de furries et autres fandoms centrés autour du principe de transformation animale. Je ne suis clairement pas la cible de To Change, dont les règles sont au fond assez minimales et efficaces, mais j’ai été plus décontenancé par l’articulation du livre que par son propos : on y accorde une place démesurée au jeu solo, qui est pourtant présenté comme une option, et on y détaille 11 scénarios dans des univers très différents, ce qui fait de To Change un jeu sans univers, un gros défaut pour moi. Ces détails, assortis à une direction artistique trop éclectique (et, disons-le, parfois un peu moche) pour être efficace font à mon sens de To Change un jeu un peu raté, et c’est bien dommage car l’idée était fort chouette !
Girl By Moonlight - C’est pas bien de comparer mais voici néanmoins un autre jeu de rôle parlant de transformation, en l’occurence de magical girls (les essais contenus dans les suppléments Zine By Moonlight sont à ce titre passionnants). J’avais déjà parlé de ce jeu sous une forme moins aboutie, ce n’est donc pas surprenant de constater que, dans sa version complète, c’est une réussite totale : il twiste juste ce qu’il faut le système de Blades in the Dark pour en faire un jeu où avec de grands pouvoirs viennent de grands questionnements intérieurs et des arcs narratifs assez bien représentés par le système (même si, comme souvent avec les jeux In the Dark, la vie quotidienne est quasiment entièrement mise de côté et c’est dommage). Sans compter que le jeu propose 4 univers très différents, depuis le décor à la Sailor Moon aux batailles dans l’espace en passant par une conspiration gangrénant les rêves de l’humanité. Bref, du très bon, qui vient par ailleurs me donner du grain à moudre pour mon propre jeu de femmes badass !
The Voice in the Woods - L’ami Gulix a adoubé ce jeu dans ses propres lectures, et il a eu bien raison ! En 5 pages et avec un système original inspiré par The Wizard’s Grimoire et autres variantes de Vincent Baker (2 MJ pour 1 PJ), ça propose de raconter une petite histoire-pour-se-faire-peur, dans laquelle un personnage se promène dans les bois et se confronte petit à petit aux diverses peurs qui l’habitent. Il y a un petit côté Dread, un petit côté WEIRD■, tout en gagnant sa place bien à part dans la série des petits jeux d’horreur. J’adoube itou, donc !
Genèse de la cité - Drame : j’ai oublié qui avait parlé de ce roman dont le pitch m’a immédiatement tapé dans l’oreille, car il s’agit d’une exploration fantastique de New York qui part du présupposé que chaque district de la ville a une incarnation humaine, qui va le défendre face à une invasion d’outre-ailleurs. Moi qui bosse sur un jeu avec des personnages ordinaires incarnations de puissances extraordinaires, ça ne pouvait que me parler… Ce n’est qu’ensuite que je me suis rendu compte que Genèse de la cité est le premier tome d’une trilogie, ce qui explique qu’il prend son temps à installer son ambiance et ses personnages, comme un très long prologue dans lequel le fantastique n’est finalement pas si présent, du moins jusqu’aux 100 dernières pages. Et comme la longue première partie de The Stand dont l’ami Steve nous parlait la semaine dernière (et que je viens de terminer), eh bien c’est très plaisant : malgré une traduction qui laisse parfois voir la langue d’origine derrière quelques tournures trop transparentes, on se laisse glisser le long du style, on s’attache à ces personnages qu’on prend le temps de connaître et la peinture de New York qu’ils assemblent, et on est presque déçus que l’action vienne pousser l’intrigue vers sa fin temporaire. Heureusement, le tome suivant est déjà paru, il n’appartient donc qu’à moi d’aller retrouver tout ce petit monde !
Paul à la maison - Le saut temporel n’est pas tout de suite évident au début de cet avant-dernier tome de Paul, mais très vite, on comprend que l’hiver s’en vient, littéralement, pour la série : Paul est divorcé, il se morfond dans sa maison, son jardin pourrit, sa piscine tombe en ruines, sa mère se meurt, sa fille va partir… C’est donc un tome assez sombre, dans lequel, qui plus est, Paul perd de sa bonhomie habituelle et entame la dangereuse pente vers le « vieuxconisme », avec un monde moderne qu’il ne comprend plus et où il ne trouve plus sa place. Il demeure quelques instants de légèreté et de poésie, et c’est assez amusant de voir Paul-le-personnage devenir Paul-l’auteur-de-Paul-le-personnage dans un vertige méta, mais on sent aussi, malgré le plaisir habituel à lire ce Paul, que la série touche à sa fin : il n’y a plus de souvenirs d’enfance à revisiter et la vie de Paul adulte, malgré un épilogue plus léger, n’est pas au beau fixe… Alors, où aller ? Je fais semblant de poser la question mais je le sais déjà : le prochain tome, dernier en date, se centrera sur Rose, la fille de Paul, et c’est une idée si parfaite que j’ai hâte de voir ce qu’elle donne !
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J’ai vu :
Dzień Świra - La meilleure façon pour moi d’aborder ce film, que j’ai regardé sans trop comprendre pourquoi je le regardais, c’est de résumer son intrigue : un prof misanthrope et bourré de TOC vit une journée qui paraît ordinaire mais s’enfonce de plus en plus dans l’absurde à mesure qu’elle se déroule, jusqu’à revenir à son état normal de sombre solitude. Le film ne tente jamais d’aller vers l’épate visuelle ou scénaristique, restant tout à fait terre-à-terre dans le traitement de son sujet, à tel point que, moments absurdes mis à part, cela pourrait être le portrait d’un grognon isolé comme il y en a au moins quelques milliers rien qu’à Paris. Le protagoniste n’est pas vraiment un anti-héros dans le sens où il ne lui arrive rien de bien particulier, finalement, et c’est peut-être bien là son malheur. En attendant, cela fait de Dzień Świra une curieuse étude de caractère qui, paraît-il, a cartonné en Pologne.
J’ai joué à :
J’ai écouté :
Centredumonde, Adieu bébé, on s’est tout dit - 8h41, c’est la durée d’une bonne nuit de sommeil ainsi que celle d’une longue journée de travail ; c’est aussi la durée de cet « album » de Centredumonde, artiste qui m’a attiré dans son trou noir cette semaine, d’abord avec ses albums aboutis de dark-néo-newwave-pop-punk à la française, ensuite avec cette méga-compilation de toutes ses démos et projets parallèles avant de sortir ses premiers albums dignes de ce nom. C’est une plongée passionnante, même en ne connaissant rien à l’artiste, car en partant des premières maquettes pour arriver vers les titres les plus travaillés, on assiste à une véritable naissance de Centredumonde, qui s’essaye à plusieurs styles, se cherche, s’abîme dans des bricolages que ne renierait pas Jean-Luc Le Ténia, polit son image de garçon torturé qui se rit du bon goût et du style car n’en pas rire, ce serait s’écrouler dans un coin en pleurant. Je ne suis pas sûr qu’à part des forcenés comme moi, tout ça soit vraiment écoutable, mais une fois de plus ma tendresse pour l’Internet des bricolos, celui du début des années 2000 où les vraies pépites sont cachées dans des coins obscurs, m’a perdu.
L’arrière-queer de Milouch :
Et toi :
Ben : J’ai lu Record of a Spaceborn Few de Becky Chambers (Archives de l'Exode en VF). J’ai fini le bouquin hier soir, et après avoir eu du mal à avancer sur la première moitié et trouvé que Chambers poussait son concept de petites histoires un peu loin dans le genre « il ne se passe rien », j'ai dévoré la seconde moitié et je peux dire sans hésiter que c'est mon préféré des trois, un bouquin de SF humaniste comme j'en ai rarement lu. Le livre a une structure chorale, comme tous les bouquins de la série Wayfarer (Les Voyageurs en VF), à ceci près que les protagonistes ici n'ont presque aucune interaction entre eux et ne se croisent que de manière fugace (mais néanmoins significative). Chambers continue l'exploration de son univers avec un personnage adjacent au premier bouquin (en l'occurence), Tessa, la soeur d'Ashby qui était le capitaine du Wayfarer. Aucun des personnages des deux premiers romans ne sont présents, sinon Ashby dans les souvenirs de Tessa. On suit Tessa et quatre autres personnages qui vivent sur l'Asteria, un vaisseau issu de l'exode des humains lorsqu'ils ont quitté la terre devenue invivable. Aidé par les autres espèces alien, ils ont pu stabiliser leur exode mais plutôt que de prendre possession d'une planète, ils vivent encore, pour une partie d'entre eux, dans les vaisseaux qui les ont vu quitter le berceau de l'humanité. Et même si une partie de l'éthique de vie et des règles qui ont permis leur survie durant l'exode pourrait paraitre inutile et même encombrante maintenant, le livre explore la permanence de ce mode de vie et sa signification. C'est un bouquin sur les différences culturelles, sur la perception de l'autre, sur ce qui forge nos croyances, notre éthique, notre façon de voir le monde. J'avais déjà senti lors du premier tome un travail vraiment intéressant sur l'altérité que trop peu de romans de SF savent véritablement explorer, ici Chambers met le sujet au centre du roman, ce qui explique cette première moitié pas inintéressante mais où il ne se passe pas grand chose : c'est justement au quotidien que ces questionnements sur l'autre sont intéressants, sur ce que ça dit de nous, de la perception que nous avons de nous mêmes à travers le regard de l'autre, etc. Bref, au final, j'ai adoré ce bouquin. Je trouve que Chambers creuse un sillon vraiment intéressant, dans lequel l'attrait n'est pas dans le grandiose ou le spectaculaire, mais dans l'humain (ou le non-humain) et sa relation à l'autre. La SF est un excellent terrain d'expérimentation autour de ça, et l'écriture fluide et directe de Chambers rend la lecture agréable, malgré la profondeur des idées. Je recommande vivement. J'avais aimé les deux premiers tomes, j'ai adoré celui-ci.
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Des bises
et peut-être à dimanche prochain !