La compote de Côme #163
Du dimanche 10 mars au dimanche 17,
J’ai lu :
Les Nouvelles Aventures de Lapinot tome 2 - Voilà pourquoi je continue d’aimer Lewis Trondheim : à ce stade de sa carrière (en 2018), il est encore prêt à se lancer dans des défis stupides, comme dessiner une page d’aquarelle tous les jours pendant un an jusqu’à en faire un album, et s’y tenir. Voici donc un petit livre à l’italienne de 365 pages, sans texte, dans lequel Lapinot se retrouve projeté dans une ambiance un brin post-apocalyptique, dans laquelle la nature a remplacé la ville. Assez vite, les péripéties s’enchaînent et le début de récit improvisé trouve une logique, une justification, un dénouement. Du côté narratif, on retrouve quelques obsessions de l’auteur, comme les gris-gris de cultures vaguement africaines qui confèrent des pouvoirs étranges, et le déroulé de l’ensemble n’est pas sans me rappeler Les Carottes de Patagonie… Ce qui est plutôt un compliment !
La Concierge du grand magasin - C’est l’amie Lisa qui a d’abord attiré mon attention sur ce manga plutôt atypique (pour moi en tout cas) : il y est question d’une concierge d’un grand magasin (sans blague) dont les clients sont des animaux disparus dans la réalité. Chaque chapitre se concentre sur un de ces clients pas comme les autres et sa demande difficile à satisfaire, mais qui finit toujours par l’être. Derrière cette intrigue fine comme du papier à cigarette, c’est surtout une ambiance particulière qui se dégage du livre : celle d’un univers assez tranquille, dans le confort ouaté d’un grand magasin où rien de bien grave ne peut arriver, impression renforcée par la présence de ces animaux qui ne sont plus censés exister et déambulent pourtant, côtoyant par ailleurs des humains sans que personne n’y trouve rien à redire. Vraiment une petite curiosité qui m’avait d’abord intrigué par son pitch à la Green Dawn Mall et qui se révèle à mille lieues de ce jeu !
Her Leylines - Je te l’ai déjà dit mais les jeux de Stargazersasha sont à surveiller et celui-là ne fait pas exception ! C’est également un jeu difficile à décrire : l’exploration à deux de l’histoire par strates d’un territoire imaginaire, une sorte de « jeu de rôles dont vous êtes le héros » dont les mécaniques minimes servent à lui insuffler une personnalité, un univers absurde-magique décrit par petites touches discrètes… ou peut-être que c’est simplement un poème d’un autre genre, auquel on peut jouer en plus de le lire. C’est en tout cas, comme d’habitude ou presque, quelque chose à côté duquel il serait dommage de passer !
Walking Among Leaves - En lisant Walking Among Leaves, j’ai tout de suite pensé à La Grive noire, le jeu de Milouch dont je t’ai déjà bien rebattu les oreilles : il y a cette même volonté de déconstruire ce que « incarner un personnage » veut dire dans un jeu de rôle, avec ici le choix de laisser les joueurs incarner à peu près ce qu’ils veulent, d’un immeuble à la lune en passant par un brin d’herbe ou la couleur rouge. On est dans un jeu de la famille FKR, c’est-à-dire avec presque aucune règle mécanique, une grande liberté dans l’improvisation, juste quelques guides pour aboutir tout de même à des histoires cohérentes. Bref, une version plus expérimentale, moins rurale, mais tout aussi passionnante.
Paul dans le Nord - Retour à l’adolescence de Paul dans ce tome qui représente assez bien ce genre d’expérience quasi-universelle d’avoir 16 ans (bon, surtout d’avoir 16 ans et être un mec blanc et cishet, je précise) : premières amours et premières déceptions, amis pour la vie avec qui on fait les pires conneries, sentiment de ne pas être à sa place… Rien de très original dans tout cela, même si le décor hivernal amène une chouette touche au récit, mais ça permet de remplir un vide dans la biographie de Paul. Encore une fois, donc, un volume un peu plus mineur que les autres, mais toujours une très agréable lecture !
Move Quietly & Tend Things - Voici un très joli jeu don’t, je ne vais pas mentir, l’aspect visuel est pour beaucoup dans le fait que je l’ai lu et apprécié. Tout droit sorti de la famille des jeux venant d’Asie du Sud-Est, c’est un jeu qui distille discrètement son folklore et propose une fiction semi-utopiste, post-réchauffement climatique, dans laquelle des communautés redécouvrent des reliques du passé et doivent décider qu’en faire. C’est un jeu très doux dans son propos, mais aussi très malin dans sa façon de fonctionner : il emprunte plein de petits trucs à d’autres jeux et ça marche très bien, notamment une façon narrative de gérer les jetons de ressources qu’on dépense pour faire des actions qui est extrêmement inspirante (et vient apparemment de Wickedness, dans lequel je ne l’avais pas repérée !). Une belle découverte !
Environnement toxique - Comme tout le monde, je ne connaissais de Kate Beaton que ses albums avec des poneys rigolos et ses stries d’humour intello sur la littérature anglo-saxonne. Je n’étais donc pas prêt à me plonger dans ces 400 pages autobiographiques, dans lequel le style précédent de Beaton surnage parfois (notamment dans les expressions faciales), ici pour parler de son expérience dans l’extraction de sables bitumeux au fin fond du Canada. C’est sans surprise un récit dur, en particulier parce que Beaton est une femme dans un milieu d’hommes, loin de toutes attaches, et que cela entraîne les comportements sexistes qu’on peut deviner mais aussi les agressions qu’on peut redouter. Cependant, ce n’est pas qu’un livre qui dénonce (en cela, son titre français est un peu réducteur) : c’est aussi un ouvrage qui décortique la solitude et la tristesse inhérente à de tels milieux, essayant de comprendre comment des hommes finalement banals peuvent dans de telles circonstances devenir aussi toxiques que les matières qu’ils extraient. Difficile de trouver des notes d’optimisme dans l’ouvrage (elles existent), qui est par ailleurs, de l’aveu même de Beaton, limité par son aspect purement autobiographique, mais on comprend que c’est un récit qui devait sortir, et qui devait être lu.
J’ai vu :
Scavengers Reign saison 1 - L’amie Melville, qui comme tu commences à le savoir n’est pas avare de bonnes recommandations, m’a exhorté à voir cette série dont j’ignorais tout et évidemment, une fois de plus, elle a eu raison ! C’est assez rare que je regarde (ou même lise) de la SF, mais dès les premières minutes de Scavengers Reign, j’ai su que j’étais devant quelque chose de spécial : le style graphique à mi-chemin entre Moebius et Luka Rejec, la présentation d’une planète dont la faune et la flore semblent réellement extra-terrestres, ces personnages échoués là dont on ignore tout ou presque… Au fil des épisodes, c’est de la survie de ces personnages qu’il va s’agir, avec des trajectoires très différentes qui finissent par se rentrer dedans, avec une saine dose de bizarre et de psychédélique, jusqu’à un final des plus prenants qui ouvre comme il se doit vers une 2e saison. Dire plus que tout cela serait trop en dire, alors je vais faire comme l’amie Melville et me contenter de te dire que franchement, tu ferais bien de regarder Scavengers Reign, tu ne le regretteras pas !
J’ai joué à :
J’ai écouté :
L’arrière-queer de Milouch :
Et toi :
Mass : J’ai lu Gouine City Confidential de Laurène Duclaud. On va suivre une partie de la vie d’Alex Duke dans la ville de Gouine City, une ville rouge du sang des exploité.e.s. Laurène Duclaud intègre les codes du roman noir, mais les parodies aussi pas mal, pour nous livrer des fragments de récits. Les 5 premiers récits peuvent se lire comme une introduction, ils mettent l’ambiance. J’avoue que pour ma part je n’ai pas vraiment accroché. Mais quand je suis arrivé à la nouvelle « L’assourdissante affaire Estravalda », j’ai été conquis. Il faut dire que je suis bon client quand il s’agit des livres types Sherlock Holmes ou Poirot et même si c’est quand même pas mal parodique, c’est du très bon travail et on se prend au jeu. Même si j’avais trouvé le coupable bien avant l’annonce de l’enquêtrice de renom Elvire Pottier (on a le skill ou on l’a pas) le chemin pour y parvenir est des plus revigorant et écrit de façon très agréable. Un très bon moment de lecture, avec des personnages comme on les attend. J’avais un peu peur pour le dernier moment du livre, « Retour à Gouine City » (et oui l’enquête se passait à la campagne) : j’y allais donc à reculons, ayant à mon avis touché ce qui faisait de ce livre un moment des plus agréables. Je dois d’abord parler de moi, pour faire comprendre comment j’ai reçu la dernière nouvelle. J’aime le sport, en tant qu’objet de spectacle, cela m’a apporté une grande partie de mes émotions les plus fortes de ma courte vie. Je regarde très régulièrement du sport (au moins 2 ou 3 matchs de hockey sur glace par semaine) et c’est aussi mon métier, qui m’a permis d’avoir une vie que je qualifierais de chanceuse. C’est pour cela que je suis un très bon client quand on met en avant ce que le sport apporte comme émotions. Et c’est ce que fait l’auteure dans le dernier moment du livre. On va suivre la montée d’une jeune fille dans un sport qui ressemble au football, et là encore une fois, ce n’est pas original mais c’est très bien fait, même si j’ai été un peu désarçonné par les moments chaotiques qui entrecoupent le récit. En conclusion, un très bon moment que cette lecture. Même si le début ne fut pas évident.
Camille : Je voulais parler de Mersonne ne m'aime, écrit par Mireille Cardot et Nicole-Lise Bernheim en 1978 (réédité opportunément en 2003 aux éditions Joëlle Losfeld), « un grand roman de Féminisme-Fiction » dixit le quatrième de couverture, découvert au hasard des pérégrinations pour un projet d'exposition. Le pitch est simple : la grande philosophe Brigitte de Savoir a été assassinée, on cherche le coupable, et les policiers s'orientent vers le groupe des Gouines vertes, de Hisse & Ho, des Fenouillardes ou des G.A.R.C.E.S. et autres féministes révoltées de Que fourbir ? Quand on connaît un peu l'histoire du MLF, c'est à mourir de rire, avec tous les termes féminisés en prime : Brigitte de Savoir est enterrée à la Mère Lachaise, avec conflit entre les factions féministes, certaines désirant un monument, d'autres « du sobre : de l'herbe sauvage sur la tombe, ornée seulement d'un rond de sorcières fourni par les agricultrices-mycologues de Lozère ». On habite à Saint-Ouenne, on dit qu'il fait belle, on va à la librairie Le Hun à côté du café de Chlore, on cohavulve, on se tire clito-clito et pas dare-dare, on lit le Vagin de Paris et Branle-Soir et quand il faut faire un stage féministe, on a le choix entre « poterie non phallique », « menstrues et ragnagnas » et « stage sorcière pour préparation philtres divers mais magie blanche seulement » (ce qui est considéré comme raciste). Bref, c'est une sorte d'écriture complètement délirante à la San Antonio, où l'intrigue a assez peu d'intérêt, mais la manière de la raconter énormément ; qui plus est, ça aborde des sujets pas hyper marrants du féminisme, le tout dans un truc assez foutraquo-joyeux. Une immense découverte, je n'en avais strictement jamais entendu parler !
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Des bises
et peut-être à dimanche prochain !