La compote de Côme #162
Du dimanche 3 mars au dimanche 10,
J’ai lu :
Le Grand voyage - J’ai ramassé ce premier roman de Jorge Semprun au hasard d’une boîte à livres, moi qui ne connaissait de l’écrivain que L’Écriture ou la vie, étudié au lycée et oublié depuis… Je n’étais pas totalement innocent, mais tout de même pas préparé au coup de poing qu’est Le Grand voyage, à bien des égards. D’abord parce qu’il aborde, non la (sur)vie dans les camps de concentration mais ce qui la précède (le trajet dans des conditions absolument abominables) et ce qui la suit (le retour à un monde qu’on ne (re)connaît plus et les traumatismes qui nous hantent). Ensuite parce que le livre est écrit dans un style d’une finesse absolue, rempli de descriptions qui arrivent à tirer une certaine forme de poésie des choses les plus glaçantes ou les plus banales. Enfin parce qu’il est construit comme une spirale vertigineuse, ne cessant de bondir à différents points temporels de la vie de Semprun, parfois au sein de la même phrase, comme les souvenirs traumatiques peuvent ressurgir sans prévenir et parasiter le présent. Bref, à la différence de bien des autres livres lus ces derniers temps, je vais ranger celui-ci précieusement dans ma bibliothèque car il gagnera à être lu et relu, pour ne pas oublier ce qu’il dit et comment il le dit.
Paul au parc - Après deux albums qui finissaient par de sacrés coups dans le sac à émotions, ça n’est pas si dérangeant que la série des Paul se poursuive avec quelque chose de plus léger : en l’occurence, la découverte par le héros de l’univers du scoutisme, avec ce qu’il sous-entend de camaraderie et de découverte de la nature, des valeurs clairement chères à Rabagliati car déjà entrevues dans les albums précédents. Enfin, je parle de récit léger mais la subtilité est toujours présente, avec des planches en insert qui laissent parfois entrevoir des réalités plus complexes que ne le perçoit Paul, et une fin douce amère comme l’auteur sait si bien en faire…
Barbe Frousse - J’étais un grand fan de Lapinot lors de sa première série, appréciant tout particulièrement l’alternance des albums entre épisodes semi-réalistes (dans lesquels il se passait tout de même souvent des trucs chelous) et épisodes de genre, avec une petite baisse de régime en fin de série qui m’avait laissé à penser que Trondheim avait bien fait de tuer son héros. Mais voilà qu’il l’avait ressuscité dix ans plus tard, et si j’ai lu quelques albums de ce nouveau run de-ci de-là, je n’en ai pas une vision complète, ce à quoi je compte bien remédier ! Mais avant, il me fallait me plonger dans cet album pirate à plus d’un terme, réalisé par un fan il y a presque 15 ans… À première lecture, on pourrait presque croire à un canular de Trondheim lui-même, assez coutumier du fait, mais non : le pastiche est trop maladroit par endroits, l’humour trop sexiste et les gags trop basiques pour que ça colle tout à fait. Ça ne fait pas de Barbe Frousse un mauvais album, loin de là : il est bourré de péripéties plus Trondheimiennes les unes que les autres et se finit avec un climax fort bien trouvé. Avec un peu de travail, il pourrait presque trouver sa place dans l’albumographie officielle de Lapinot…
Les Nouvelles Aventures de Lapinot tome 1 - Et donc, Les Nouvelles Aventures de Lapinot… Elles commencent, finalement, de manière très conventionnelle, avec un tome qui aurait pu avoir sa place dans la série précédente : intrigue contemporaine mâtinée de fantastique, dans laquelle, en gros, Lapinot le raisonnable court pour réparer les provocs de son ami Richard le débile. Ah oui, il y a aussi Nadia la chasseuse de scoops, dont l’autre trait est de se moquer de Lapinot après leur rupture. Les personnages sont donc caricaturaux au possible (plus, il me semble, que dans la série précédente, mais peut-être est-ce une vision déformée par davantage de maturité de ma part ?) mais l’intrigue est plutôt bien construit dans sa montée en puissance vers un climax destructeur, ça se laisse donc lire avec plaisir. Je suis bien plus intrigué par le tome suivant, puisque l’alternance de cette nouvelle série ne semble pas être de genre mais de format, et ça, ça me parle !
Les Exilés de Pso - Gulix est vraiment l’un de ces auteurs qui mériterait d’être beaucoup moins discret, tant il est actif sur la scène rôliste francophone et ses créations toujours des pépites d’inventivité. Ici, c’est un jeu conçu dans le cadre du concours « Trois fois forgé », ou chaque jeu passe entre les pattes de 3 auteurs différents, du concept au produit final : on reconnaît malgré tout dans ces Exilés la touche de Gulix, aussi bien dans les mécaniques que dans le propos. L’idée de jouer des exilés en fuite qui perdent leurs souvenirs à mesure qu’ils cherchent refuge est brillante, tout comme ce concept de vaisseau qui bondit d’une carte à jouer face cachée à une autre, en espérant trouver la bonne… Il y a une confluence d’influences qui marche ici très bien, le genre de pépites qui devrait en inspirer plus d'un·e !
Solstice - Je ne vais pas te cacher que si je suis allé voir Solstice, c’est avant tout parce que Tanya Floaker est une personne formidable dont les créations, là aussi, mériteraient une bien plus grande mise en avant. Je t’avais déjà parlé du formidable BE SEEING YOU : Solstice en reprend la logique très storygame mais dans un décor de folk horror qui me parle moins, où l’on incarne les candidat·e·s à être brûlé·e·s vif·ve·s à l’intérieur d’un gigantesque bonhomme de paille. C’est un jeu où l’on va accumuler des votes pour avoir le droit d’être sacrifié·e (ou au contraire, essayer de ne pas l’être) via des scènes qui ont toutes leur déroulement et leur mini-mécanique particulière ; un mode de fonctionnement qui me rappelle la logique des jeux Firebrands tout en étant assez différente de ceux-là. Bref, Solstice est de ces jeux dont la lecture mérite le détour !
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L’Hôtel du Lion Rouge, version texte - À la Cômeporation, ça ne chôme pas cette semaine avec 3 actes coup sur coup, bim bim bim ! Ça commence avec un playtest un peu particulier de mon jeu L’Hôtel du Lion Rouge qu’on pourrait aussi appeler Hôtel OuLiPo : des lieux, des personnages, chacun avec leur contrainte de description particulière… Et justement, bien qu’il s’agisse en son cœur d’un jeu de rôle se déroulant à l’oral, plusieurs personnes bien intentionnées m’ont soufflé que ça se prêterait sans doute très bien à un mode par écrit ! D’où l’ouverture d’un serveur Discord dédié pour se prêter à l’exercice… Si tu veux t’y frotter, pour 5 minutes ou plus longtemps, eh bien l’hôtel accueille tout le monde !
Un générateur pour Green Dawn Mall - L’actu suivante, je n’en suis pas responsable, mais puisqu’elle concerne un de mes jeux… C’est Zanhix, sur Discord, qui m’a contacté : elle avait découvert Green Dawn Mall l’été dernier et s’était mise en tête de créer un générateur en ligne pour le jeu, qui crée un plan au fur et à mesure, avec une vision côté MJ et une vision côté joueur, pour pouvoir être utilisé en partie. Je rêve souvent d’applications numériques ou de sites pour certaines de mes créations (ah, une version en ligne de L’Envers du dédale… Un plan de métro navigable pour Pendant ce temps, dans le métro…) mais manquant totalement de compétences en la matière, cela reste des rêves. Je suis bien content que quelqu’un doté de ces compétences s’y soit collé ! Le résultat est consultable par là et ça me donne bien envie de relancer des parties, tiens…
Conversation avec Simon Li - T’as encore un peu de temps ? Alors pourquoi ne pas écouter ma conversation avec Simon Li, l’une des têtes pensantes du label Angeldust, responsable de pépites comme Damnés et Héros d’Argile en tant qu’auteurs et Toi qui… ou Magie de minuit (actuellement en précommande en tant qu’éditeurs ! C’est plutôt des deux premiers qu’on parle ici, et comme pour l’épisode précédent, il est question de conditions de créations, de messages véhiculés par ces deux jeux, et des influences qui gravitent autour. L’occasion pour moi, une fois de plus, de constater que tous les auteurs de JdR sauf moi sont très réfléchis dans ce qu’iels font…
J’ai vu :
Le Consentement - Je n’aurais pas vu ce film par moi-même mais il était au programme d’une série de discussions et activités autour de la santé des jeunes, dans mon lycée : dans ce cadre, détricoter l’horreur d’une relation pédophile, ce qu’elle révèle des mécanismes d’emprise, de harcèlement et de faux consentement, fut très intéressant, la plupart des lycéen·ne·s étant beaucoup plus matures sur le sujet que moi à leur âge. En tant que film, en revanche, Le Consentement est malheureusement un peu raté : je n’ai pas lu l’ouvrage de Vanessa Springora dont il est tiré mais je l’imagine plus subtil et complexe dans son développement, là où l’adaptation de Vanessa Filho est trop didactique et à gros sabots pour fonctionner sur moi (sans compter une longueur dans laquelle on s’empâte un peu). C’est néanmoins un film plus que nécessaire ; tout comme le livre dont il est tiré, il est nécessaire qu’il existe, car il n’y aura jamais trop de mots et d’images pour détruire les immondices du patriarcat.
J’ai écouté :
Tous les films ont la même fin, Un Faux Mouvement - La plupart de mes découvertes musicales fonctionnent comme un jeu de ping-pong. Ici, tout part, je crois, de l’ami Barz, qui me fait découvrir les compilations À Découvrir absolument et par ce truchement le merveilleux Mickaël Mottet, mais aussi les Frères Nubuck, et donc également Tous les films ont la même fin, plus exactement le titre « Rendez-vous normal » qui se loge durablement dans mon crâne dans la catégorie « Balade pop rigolote désabusée ». Plus tard, j’acquiers l’album malgré sa pochette effroyablement laide et je découvre l’univers de Lionel Fondeville, dont je t’ai déjà parlé (comme les Frères Nubuck, comme Mickaël Mottet, comme À Découvrir absolument…) via son groupe Le Manque il y a de ça suffisamment de compotes pour que tu ne t’en souviennes plus. Bien m’en prend car TLFOLMF ne se laisse pas facilement piéger dans la catégorie susnommée, malgré son titre d’ouverture « Le Magasin ». C’est plutôt un album bourré de tirades poétiques, de petites douceurs, d’un peu de proto-punk, bref d’un fouilli-fouilla qui révèle un univers d’une richesse au départ insoupçonnée ; quand ça reste dans la tête aussi longtemps, c’est souvent bon signe. Ce qu’on appelle donc une bonne pioche, qui me mena en ping-pong plus loin encore…
L’arrière-queer de Milouch :
Et toi,
qu’as-tu compoté cette semaine ?
Des bises
et peut-être à dimanche prochain !