La compote de Côme #159
Du dimanche 11 février au dimanche 18,
J’ai lu :
Kinfolk - Il y a quelque chose que je trouve très sexy dans le concept de Kinfolk : gérer l’histoire de plusieurs familles s’installant sur une frontière et, génération après génération, raconter comment elles s’en sortent avec les ressources à disposition. Mais tout est dans le mot « gérer » : on est loin ici du narrativisme, voir loin d’une narration tout court, et Kinfolk est un jeu de gestion, avec des listes de matériaux de construction, des hexagones, bref des trucs sérieux. C’est dommage car moi je ne suis pas sérieux et il y avait, je crois, avec cette matière, possibilité de faire quelque chose de vraiment passionnant au lieu de simplement comptable…
Paul dans le métro - Bon, là, je suis un peu déçu : j’étais chaud-patate pour une aventure de Paul se déroulant entièrement dans le métro, ou un long récit qui dévoilerait l’attachement particulier du personnage pour les souterrains de Montréal… Mais non, ce n’est en fait qu’une (très chouette) histoire courte, suivie d’autres petites historiettes sans aucun rapport ! La plupart de ces historiettes sont d’ailleurs assez moyennes et, globalement, je n’ai pas trouvé ce tome-là d’un grand intérêt. Au suivant !
The Shining - Œuvre culte, qui se trouve glissée dans mon parcours de lecture à un moment où je lis et écris des trucs sur des hôtels, The Shining mérite amplement sa réputation et se place, à mon avis, au-dessus de l’adaptation de Kubrick qui en retient surtout l’aspect « horreur » (ce qui n’est déjà pas mal). Pourtant, on pourrait presque exciser les forces surnaturelles qui agitent l’hôtel Overlook et cela donnerait un roman dressant le portrait d’un ex-alcoolique retombant peu à peu dans ses démons, jusqu’à l’explosion finale. Il y a quelque chose de réellement triste à suivre la désintégration de la famille Torrance, presque programmée d’avance en dépit des signes positifs qu’on essaye encore de trouver jusqu’au bout ou presque, et ça fait du bien de prendre le temps de fouiller la complexité des personnages dans un huis-clos qui tranche ainsi par deux fois avec ’Salem’s Lot. Il est probable que peu de romans dans la bibliographie de King atteindront ce niveau de qualité, mais ça ne m’empêchera pas de poursuivre mon exploration !
Nicole numéro 13 - Que dire sur Nicole (ou Franky) au bout de 10 ans d’existence et de plusieurs apparitions dans ma compote ? Comme toutes les anthologies de bande dessinée, son contenu est si variable (même s’il offre un certain panorama de la BD indépendante française) qu’il est complexe de le considérer comme un tout… Peut-être alors qu’on pourrait mettre de côté les BD au feutre et les choses mal dessinées, dont on se demande vraiment ce qu’elles font là, et mettre en avant ce qui m’a plu dans ce numéro 13, outre son résumé de l’année passée toujours utile ? On pourrait parler des historiettes trop simples pour être honnête de Delphine Panique ; de l’étrange récit sorti de nulle par de Ruoqi Tong ; de la petite fable du quotidien d’Oriane Lassus ; du conte polymorphe de L.L. de Mars ; des personnages cartoonesques d’Émilie Gleason… Eh dis-donc, ça fait tout de même la moitié du volume tout ça, c’est pas si mal !
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La Trilogie de la vie - Je t’en parlais l’autre fois : ça y est, mon nouveau financement participatif est lancé ! Si tu as loupé le début, il s’agit ici de récolter les sous pour imprimer 3 petits jeux de rôles qui parlent (en gros) de la vie, l’univers et tout le reste : des jeux de petits riens, résolument orientés vers de petites histoires positives accessibles aux petits porte-monnaies et aux rôlistes néophytes. En tentant de financer 3 petits jeux expérimentaux dans deux langues à la fois, je me mets un certain nombre de bâtons dans les roues, c’est vrai, mais on va peut-être y arriver tout de même, qui sait ?
J’ai vu :
The Zone of Interest - Fidèles à notre tradition conjugale, nous avons profité d’une soirée sans Madeleine pour aller voir un film bien déprimant ! The Zone of Interest pose la question intéressante de malaise du spectateur, offrant à notre regard un gradé SS qui mène une tranquille vie de campagne à l’ombre du camp d’Auschwitz, semblant faire peu de cas des sons absolument atroces s’en échappant lorsqu’il prend le soleil dans son jardin (le travail sonore du film est, globalement, assez incroyable). Le film est glaçant et son message efficace ; néanmoins, je m’interroge sur la nécessité d’en faire un long métrage, ce qui implique d’injecter un semblant de narration (y compris une intrigue secondaire aux liens flous avec le reste) dans quelque chose qui aurait mieux fonctionné sous la forme d’un moyen-métrage montré en galerie d’art. Je ne regrette pas de m’être confronté à cette expérience, malgré tout.
I’m A Virgo - Boots Riley est un réalisateur fascinant à plus d’un titre : d’abord parce qu’il vient du monde de la musique (il a ainsi croisé la route de Zack de la Rocha, le chanteur de Rage Against the Machine) ; ensuite parce qu’il a réalisé précédemment le génialement étrange Sorry to Bother You ; enfin parce que c’est un communiste revendiqué et que cela suinte de chacune de ses œuvres. I’m A Virgo mélange tout cela pour offrir une série qui fait semblant de raconter les aventures à la Candide d’un géant de 4 mètres découvrant le monde moderne, mais qui ne cache pas ses attaques violentes contre le capitalisme moderne et les avatars fictionnels qui le soutiennent, sans oublier une critique sur ce que cela veut dire d’être un homme noir aux États-Unis. On peut reprocher à la série sa conclusion un peu rapide et facile, Riley ayant décidé qu’au fond il ne fallait pas arrêter de rêver à des lendemains meilleurs ; c’est quoiqu’il en soit une étrangeté télévisuelle à côté de laquelle il serait vraiment dommage de passer.
La Mécanique des fluides - Camille a raison d’observer qu’il existe un certain sous-genre documentaire, souvent présent sur Tënk, dans lequel des réalisatrices font preuve d’empathie envers des gens paumés, brisés, parfois d’une insondable noirceur. C’est le cas dans La Mécanique des fluides, qui s’intéresse aux communautés incels par le biais de l’affect, essayant de comprendre comment leur douleur se retourne en colère au sein d’un système (ici représenté par Tinder) qui monétise leur mal-être. Si le film n’aborde finalement que très peu le mal-être similaire que les femmes peuvent ressentir, il n’écarte pas non plus le regard des aspects les plus violents et malsains des incels, nous laissant dans un entre-deux où l’on est libre de se faire sa propre opinion.
J’ai joué à :
A Monster’s Expedition Through Puzzling Exhibitions - AMETPE est un jeu de puzzle fascinant par l’angle d’approche qu’il propose pour renouveler le genre : ici, l’idée n’est pas tant de progresser à travers des énigmes sans aucun lien autre que thématique entre elles mais de faire de la progression même le puzzle principal du jeu, de façon beaucoup plus resserrée que The Witness et moins cérébrale que Baba is You. Le petit monstre choupi que nous sommes pousse donc des troncs d’arbre pour aller d’île en île, progressant à travers un paysage géant qui propose des embranchements en veux-tu en voilà, d’un bateau à un autre. À partir de ce principe simple, le jeu décline près de 700 îles à traverser (dont une bonne partie optionnelle et une autre plutôt simple, heureusement) et parvient à nous faire découvrir de nouvelles manières de manipuler un décor qu’on croyait simple, et qui est d’ailleurs également très mignon et très rigolo à découvrir. Ajoutons à tout ça une bonne dose de secrets qui ont épuisé mes méninges et on obtient un nouveau classique du genre, que j’ai été ravi de revisiter !
J’ai écouté :
Buck 65, Situation - Il faut comprendre que Richard Terfry, pendant les années 2000 et 2010, se remet très souvent entre les mains de ses producteurs quant au son global de ses albums ; cela explique notamment pourquoi on aura en 2014 trois albums (dont Neverlove et Laundromat Boogie) si distants iniquement l’un de l’autre. Cela explique aussi comment on passe de deux albums (Talkin’ Honky Blues et Secret House Against the World) résolument tournés vers une sorte de sad folk mâtinée de hip-hop à Situation, un album beaucoup plus directement rap, réalisé par Skratch Bastid et publié par les excellents Strange Famous Records. Je me souviens qu’à l’époque il fut présenté comme une sorte de retour aux sources et à l’écoute de titres comme l’introductif “1957” ou le parfait “Way Back When”, il est difficile de dire le contraire… Tout l’album ou presque se construit comme un concept album autour de l’année 1957, sans néanmoins de grande réflexion narrative autour de cette thématique : cela semble davantage une excuse pour aller explorer des personnages de pin-up, de photographe, de hobo ou de rebelle à la James Dean. Tous les titres ne font pas mouche (ceux dédiés aux flics sont beaucoup moins intéressants, se reposant sur la technique déjà mentionnée d’alignements de one-liners peu inspirés, et la boucle de Jeux interdits sur “The Outskirts” est vraiment gênante) mais le début de l’album, en particulier, est une boule d’énergie qui fait plaisir à entendre, et Buck parvient à se rattraper en fin d’album avec le joli “White Bread”. Situation n’est pas un album qui tente de prouver quelque chose mais plutôt un exercice ramassé (aussi bien dans les textes que dans les mélodies) sur lequel Terfry se fait plaisir, et c’est un plaisir partagé. À noter qu’il fut accompagné d’un EP, Porch, qui prouve qu’il ne faut jamais prendre les choses pour acquises avec Buck 65, puisqu’il s’agit de reprises au banjo de titres des 3 derniers albums (et de Dirty Work), comme quoi la musique folk n’est jamais loin… C’est tout pour cette fois-ci ? Pas tout à fait : mentionnons, en passant, l’extraordinaire mixtape réalisée par Buddy Peace pour fêter la sortie de l’album, ainsi que celle de Skratch Bastid qui contient quelques inédits mais pas de quoi se relever la nuit, à part le sombre “Spooked” qui prouve que la collection de one-liners peut parfois être très puissante, et un titre clair comme du cristal, mais signé “Bike For Three!”. Tiens tiens, il va falloir s’y intéresser… Mais pas avant d’avoir enfourché nos vélos.
L’arrière-queer de Milouch :
Casa Susanna - J'avais déjà parlé en juillet du docu Casa Susanna sur ARTE et j'ai enfin pu me procurer le livre complémentaire de ce documentaire ! Casa Susanna, c'était un lieu particulier et précieux qui dans les années 60 à accueilli des personnes trans, des travestis de l'ensemble des États-Unis. Ce livre retrace l'histoire de ce lieu mais aussi de manière plus générale, l'histoire communautaire du mouvement travesti aux États-Unis dans ce qu'il a eu de plus beau mais aussi de plus dogmatique. Ce sont les premières pages de ce livre qui expliquent ce contexte et donnent ainsi les clefs de lecture de la suite de l'ouvrage. En effet, une fois cette introduction passée, sur plus de 300 pages on va retrouver sans texte et sans commentaires des photos des personnes qui fréquentait la Casa Susanna. Lire ce livre, c'est feuilleter une forme d'album de famille et réaliser l'importance des lieux communautaire comme la Casa Susanna. Même si je sais que je n'ai pas forcément la même conception du genre que ces femmes prises en photo dans des tenues d'épouses modèles des années 50, je sais aussi qu'elles ont ouvert la voie. Et il me paraît fondamental de connaître notre histoire et encore plus de comprendre les gens qui l'ont faite.
Et toi :
Mass - Celle qui devint le soleil est le premier roman de Shelley Parker-Chan. Nous sommes en Chine au 14ème siècle. Les Khans dominent cette partie du monde, mais l’histoire est toujours en mouvement et comme une avalanche elle emporte tout sur son passage. On va suivre en parallèle deux personnes qui sont proches, parce qu’elles sont différentes, dans un monde où les codes ne sont pas en leur faveur. Elles vont prendre leur destinée en main, même si pour elles leur destin est déjà tracé d’avance pour faire avancer leur ambition ou leur vengeance. Nous sommes dans un livre qui met en avant des personnages principaux qui vont devoir combattre, ils ne sont ni femme, ni homme, totalement hors limite pour la société, et pourtant ce sont elles qui vont faire bouger les lignes, non pas en changeant les codes mais en s’élevant à une autre hauteur. Ce qui peut être assez troublant, parce que l’ambition ou la vengeance ont des coûts des fois énormes. L’histoire a son importance : on est dans un moment queer et les humains ne sont ni bons, ni méchants mais des humains avec tous leurs défauts et qualités. C’est un livre qui montre que l’ambition ou la vengeance ne se font jamais sans faire souffrir, les autres et soi-même. J’ai aimé suivre les aventures de Zhu et de Ouyang, mais attention, la noirceur de l’âme n’est pas si loin et la fin peu dérouter le lecteur. Je conseille quand même ce livre.
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Des bises
et peut-être à dimanche prochain !