La compote de Côme #156
Du dimanche 21 au dimanche 28,
J’ai lu :
Paul à la campagne - Ça fait un sacré paquet d’années que j’entends parler de la série des Paul de Michel Rabagliati, un classique de la bande dessinée québécoise auquel je ne m’étais jamais frotté… Et puis à force de lire les avis de l’ami Ben sur la question, j’ai fini par franchir le pas ! Ben m’avait prévenu, il faut laisser la série s’installer un peu, et s’il est vrai que ce premier tome n’est pas transcendantal, il y a quelque chose de très sympathique qui se dégage de tout ça : je retrouve cet esprit des années 1990 où l’autobio-tranche de vie commence à s’imposer comme genre viable. Ici pas de gros enjeux, juste des petits morceaux de vie tranquille, un regard un brin nostalgique sur une existence rurale qui n’existe plus, et pour moi le petit bonus de cette langue québécoise que j’aime tant. Un très chouette moment, donc, et me voici parti pour toute la saga !
Madame Mayor! - Difficile de résister à une couverture de jeu si choupi, surtout quand elle vient de Nate Nate, déjà derrière l’intriguant You Are Here ! Il y a dans Madame Mayor cette idée, dont je t’ai déjà parlé récemment, de contrôler à plusieurs un même personnage, sauf qu’ici ce personnage est maire d’une petite ville pleine de petits problèmes et d’opposants politiques grognons, ce qui m’évoque immédiatement quelque chose comme le maire de Steven Universe, pour mon plus grand plaisir. C’est un jeu rigolo et mignon, certes, mais avec quelque chose d’héroïque derrière, un peu comme SU en somme… Alors, même si je regrette un peu l’usage de dés dans la mécanique de jeu (il y a vraiment une occasion manquée de faire acheter des marionnettes à des hordes de rôlistes), je ne peux que recommander Madame Mayor !
Say We Do #1 - Paul Czege est un game designer vraiment passionnant, et pas seulement à cause du principe ludique auquel il a donné le nom (je te laisse chercher si tu as un penchant pour la théorie) : c’est quelqu’un qui s’intéresse avec fougue à ce qu’il se fait dans le milieu rôliste indépendant, en particulier dans les jeux solos, et qui en produit une riche réflexion. Say We Do est le prolongement de choses déjà développées ailleurs : des bouts de réflexion, des comptes-rendus de partie sous forme fictionnelle, et pourquoi pas même un petit jeu, hop… Ce qui rend l’objet (je ne sais pas trop comment le qualifier) fascinant, pour moi, c’est sa forme de broadsheet, comme un journal à l’ancienne, en somme, qui me ramène à la fois 2 siècles en arrière et aux créations de Chris Ware (ceci étant lié à cela). C’est une forme délicieusement désuète qui nous force à ralentir, prendre le temps de lire, peut-être en s’asseyant sur un banc dans un parc, pourquoi pas… Et comme je vieillis (mais si), je me rends compte, sans doute comme tout le monde, de l’importance de ralentir un peu et de réfléchir. Alors peut-être que toi aussi ?
Moi qui ai servi le roi d’Angleterre - Je ne sais plus qui m’a conseillé ce roman comme pouvant se ranger dans un sous-genre qu’on pourrait qualifier de « roman d’hôtel », dans le but de nourrir mes imaginaires et L’Hôtel du Lion rouge par la même occasion ; c’était peut-être aller un peu vite en besogne car Moi qui ai servi le roi d’Angleterre (titre lui-même trompeur) n’est pas que les mémoires fictives d’un maître d’hôtel mais aussi la peinture d’une certaine tranche historique de la République Tchèque, depuis ses années insouciantes jusqu’au gouffre béant des années 1940 et un peu au-delà. Le protagoniste traverse la grande histoire avec une sorte de bonhommie avec laquelle on ne croit jamais tout à fait, servant effectivement dans divers grands hôtels mais surtout nourrissant des rêves de grandeur qui seront à la fois sa force et sa chute, comme il le raconte dans une série de longs paragraphes souvent un peu épuisant. J’ai trouvé dans ce roman un humour noir que je n’attendais pas et trop peu de vignettes hôtelières pour me satisfaire ; comme quoi, il faut faire attention à la façon dont on vend certains romans…
J’ai vu :
Hikarigoke - Je suis tout à fait d’accord avec l’ami Jérémie en ce qui concerne ce film : c’est un très intéressant huis clos, qui se déroule à rythme glacial pour mieux essayer de comprendre ce qui peut pousser des hommes à en manger d’autres, dans une situation d’extrême nécessité, avec un filmographie tout en réserve, qui prend son temps pour s’arrêter sur les choses essentielles. Mais il y a ce choix étrange de faire d’Hikarigoke un récit enchâssé, et qui plus est un récit en 2 parties qui se conclut par un procès assez longuet : je ne suis pas certain qu’il y avait besoin de ces artifices, qui gâchent un peu à mes yeux l’épure du reste…
Nothing - Je ne peux pas vraiment dire que je suis un fan de Vincenzo Natali, dans le sens où je n’ai vu de lui que son premier film, Cube, mais qui m’a obsédé à un point déraisonnable en étant ado ; et voilà que je me suis soudain souvenu de ce Nothing dont la scène finale m’avait beaucoup marqué à l’époque où je l’avais vu en salle. Un film dont le prologue me fait beaucoup penser à Up (ou plutôt l’inverse) et qui assez rapidement se focalise sur une seule idée, celle de deux personnages pas mal losers perdus dans un néant caoutchouteux. L’idée me paraît toujours aussi géniale et j’ai longtemps trituré le projet d’en faire un JdR ; en revanche, le film lui-même décide de tout miser sur son aspect goofy comedy, et ce n’est franchement pas l’idée du siècle, tant tout paraît dès lors surjoué et ridicule. Je comprends l’idée de faire de Nothing le pendant lumineux de Cube mais il y a sans doute, dans un univers parallèle, un autre traitement du sujet beaucoup plus convaincant…
The Curse saison 1 - Ce n’est pas le nom d’Emma Stone, ni celui de Benny Safdie (que je ne connais quasiment pas, sauf à savoir que Uncut Gems est le rare exemple d’un bon film avec Adam Sandler) mais bien celui de Nathan Fielder qui m’a attiré sur l’affiche : je n’ai jamais vu Nathan For You, la série par laquelle il s’est fait connaître, mais The Rehearsal avait été une de mes grosses claques de 2022… Et The Curse est déjà bien partie pour être une de mes grosses claques de l’année. Outre qu’elle est admirablement bien jouée et filmée, c’est une série incroyable parce qu’elle parvient à jongler entre de nombreux sujets (la vie d’un couple qui se délite, le white knighting des riches en quête de rédemption sociale, la création artistique, la mise à l’écart des minorités…) sans jamais se perdre, tout en installant un climat qui bascule de plus en plus vers le malaise à mesure que la saison s’écoule. Les épisodes empilent les situations étranges, parfois très dérangeantes dans leur banalité, dans ce qu’elles dévoilent du mal-être intense qui semble ronger à peu près tous les personnages de la série, le tout avec une mise en scène qui nous met de plus en plus dans une position de voyeur, refusant de nous épargner… Jusqu’à un dernier épisode absolument dingo, qui rajoute une grosse couche de métaphores à l’ensemble des épisodes précédents et qu’il va bien me falloir une semaine pour digérer. Impossible de savoir s’il y aura une 2e saison de The Curse (j’attends avant cela, et avec grande impatience, la suite vaguement annoncé de The Rehearsal) : si elle arrive, je n’ai aucune idée de quoi elle parlera, mais je suis certain de son excellence.
J’ai joué à :
The Number - Tiens, j’avais oublié de te parler de ce jeu de société déjà testé pendant les fêtes de Noël, mais ce n’est pas bien grave puisqu’une autre partie ce week-end me l’a remis en mémoire ! C’est le genre de jeux minimalistes, aux règles explicables en 5 minutes, que j’aime beaucoup : ici, le concept est de tâcher d’écrire un nombre de 3 chiffres le plus élevé possible (pour gagner un maximum de points) tout en essayant de faire en sorte que nos chiffres ne se retrouvent pas dans d’autres nombres, pour ne pas être éliminé. C’est donc un jeu qui mêle un brin de chance et de stratégie à des tentatives de comprendre ce que l’autre va mettre, avec un vrai suspense de bout en bout et pour des parties pas trop longues. Un futur classique ?
Dorfromantik - Il faut peut-être parfois que je te parle dans cette compote de mes échecs : les livres pas terminés, les jeux jamais explorés à fond, les séries abandonnées en cours de route… J’hésite souvent à le faire car je n’ai pas grand chose de positif à dire sur quelque chose que je laisse tomber, mais cette fois-ci c’est différent ! En effet, moi j’étais partant pour jouer des dizaines de parties de Dorfromantik, ce jeu collaboratif où l’on construit un paysage à l’aide de tuiles hexagonales (comme dans un autre jeu bien connu) sans grosse pression autre que celle de faire un bon score, pour débloquer de nouveaux éléments et progresser sur une carte nous amenant vers un axe ou un autre du jeu. J’aime beaucoup le concept des jeux legacy lorsqu’ils sont bien pensés, et ça me semble être le cas ici, Dorfromantik empruntant à son papa (c’est une adaptation de jeu vidéo) un système de succès à débloquer qui me paraît tout à fait fonctionner. J’utilise ces précautions linguistiques, parce que je n’en ai fait que deux parties avant que Camille m’avoue que bof, ouais, c’est sympa mais on va devoir jouer combien de temps avant que les règles deviennent vraiment intéressantes ? Donc tant pis pour Dorfromantik, que je pourrais continuer en solo mais j’ai déjà trop de jeux qui m’attendent pour cela… C’est pas grave, j’ai bon espoir pour d’autres jeux qui prennent la poussière sur les étagères, n’est-ce pas Demain tu m’as tué ?
J’ai écouté :
Buck 65, Talkin’ Honky Blues - C’est en 2003 que j’ai découvert Buck 65, avec son premier album chez Warner ; album de major, qui s’enfuit dans une discussion imprévue et annonce la couleur dès le premier titre : portrait de l’artiste en weirdo, une fois de plus (confirmé par le 2e titre et single “Wicked And Weird”, celui où les banjos sont de sortie) sans introduction ni refrain mais avec un pont qui sample les albums précédents de Terfry, comme une manière de faire le ménage avant cette nouvelle ère. C’est l’époque des sliding guitars, celle où le rappeur invoque une galerie de freaks vivant sur des bateaux-mouches en 7 morceaux de plus en plus sombres d’un côté (un mix entre son enfance de hillbilly et sa vie alors parisienne) et commence à s’inventer une vie tout aussi glauque de l’autre côté : sur tous les morceaux, il s’exprime à la première personne, à travers cette persona de Buck 65 qui déprime toujours autant, commence à ressembler à son père, rencontre des femmes mystérieuses et parfois les trompe. Si les sujets ne changent pas trop, donc, le son a effectué sa mue : il n’y a écouter “50 Gallon Drum” avec sa boucle de piano et son spoken word plein de one-liners, “463” et son clavecin hanté coupé par une guitare électrique, ou l’instrumental un rien électro de “Killed By A Horse” pour s’en convaincre. Talkin’ Honky Blues tente de nombreuses nouvelles choses, et si elles n’atterrissent pas toutes avec le même impact (j’adore “Craftsmanship”, en particulier son outro, mais force est de constater que son message d’humilité et de titres non commerciaux est bien ironique vu le reste de la carrière de Buck), c’est un album très fort, qui ouvre une époque d’expérimentation dans la carrière de Terfry, mais d’une façon différente à ce qu’on a entendu jusqu’ici… À noter que la sortie de l’album fut suivie en 2004 par un faux best-of : on y trouve, outre quelques titres inédits (dont un en pregap, quel bonheur, et une reprise presque évidente de Woody Guthrie) tirés des sessions d’enregistrement de Talkin’ Honky Blues, donc avec le même son faussement blues, des versions « rejouées » de titres précédents : l’occasion d’apprécier une version à la guitare de “The Centaur”, parfaitement corny et donc parfaite tout court, ou une version « vénère de lycée » de “463”… L’occasion aussi d’entendre, sur un titre comme “Bandits”, une tendance à empiler des fragments narratifs qui n’ont pas grand chose à voir entre eux mais créent une certaine ambiance, une technique à laquelle Terfry aura de plus en plus recours et dont j’aurai donc l’occasion de te reparler !
L’arrière-queer de Milouch :
Portrait de la jeune fille en feu - Il y a peu de films qui parlent d'amour lesbien, peu qui le font bien et encore moins avec une distribution entièrement féminine. Portrait de la jeune fille en feu, c'est l'opposé du male gaze, c'est l'anti La vie d'Adèle. C'est un film pictural dans sa composition, tournant autour de l'histoire d'amour entre une jeune femme de la noblesse et la peintre qui doit produire son portrait de mariage. La relation sera belle, complice et évidement tragique. C'est un film sans artifice : peu de scènes, peu d'effets grandiloquents mais partout et toujours une intensité totale.
Et toi,
qu’as-tu compoté cette semaine ?
Des bises
et peut-être à dimanche prochain !