Limites Numériques #19
Logiciels & processeurs : histoires d'alliance et de gaspillage
Ce mois-ci, retour sur l’ultimatum de Windows 11 – quelques paramètres collectifs écologiques – et toujours le meilleur et le pire du numérique du point de vue écologique.
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💻 Windows défenestre 400 millions d’ordinateurs
Le 14 octobre prochain, Microsoft arrêtera le support logiciel de Windows 10. Pour continuer à l’utiliser de manière sécurisée, ses utilisateurs et utilisatrices auront un ultimatum : acheter un ordinateur récent compatible avec Windows 11 ou commencer à payer pour continuer à recevoir des mises à jour de sécurité. Un coût que beaucoup de particuliers et d’organisations ne prendront pas en charge et qui pourrait entraîner l’obsolescence de près de 400 millions d’ordinateurs.
Bien sûr il existe des alternatives comme la possibilité de changer pour un système d’exploitation libre. Mais Microsoft n'en informe nullement les personnes ni n'en facilite la transition. Au lieu de ça, l’entreprise incite à renouveler son appareil. Les difficultés ou frictions liées à un changement de système d’exploitation pour de nombreuses personnes (ou le simple fait de ne pas savoir que cette option existe) conduiront probablement à ce qu’une quantité massive d'appareils soit poussée vers la poubelle.
Pour dénoncer ce scandale, des associations et entreprises ont lancé cette pétition 📝.
L’ordinateur personnel comme “gaspillage” de ressources
On voulait profiter de cette actualité pour revenir un peu en arrière et vous raconter une petite histoire. Quand on raconte l’évolution de l’informatique, la transition des ordinateurs centraux (”mainframes”) aux ordinateurs personnels (”PC”) apparaît comme un moment de progrès, au tournant des années 1980. Il s’accompagne de l’invention de l’interface graphique moderne (dont la fameuse métaphore du bureau) qui a permis pour la première fois à des non-programmeurs d’utiliser un ordinateur en toute autonomie.
Si l’idéal de démocratisation de l’informatique reste d’actualité, quelques extraits de cet ouvrage, par le journaliste Michael A. Hiltzik, nous montrent sous un autre jour ce changement de paradigme, tel que vécu par par ses inventeurs au début des années 70 :
“Élevés aux ordinateurs partagés, la plupart des chercheurs du PARC [le laboratoire de recherche de Xerox] avait du mal à s’acclimater au fait d’avoir un processeur à leur disposition personnelle. Certains ont même ressenti une pointe de culpabilité la première fois qu’ils ont laissé un [Xerox] Alto inutilisé, comme s’ils avaient laissé de la nourriture sur la table pendant que d’autres mourraient de faim. Mais pour la première fois dans l’histoire de l’informatique, les ressources étaient suffisamment abondantes pour pouvoir gaspiller.”(p.213).
On y lit aussi à quel point le travail de conception des premières interfaces s’est réalisé en anticipation, concevant des interfaces trop lourdes pour le matériel disponible à l’époque en se fondant sur l’idée que la “loi de Moore” rendrait in fine viable leur gourmandise : « Il était soudainement devenu tout à fait raisonnable de concevoir un ordinateur qui utilise deux tiers de sa capacité de calcul et trois quart de sa mémoire pour faire marcher son écran”(p.171).
Le logiciel au service de la croissance économique des puces
Les éditeurs de logiciels ont progressivement eu un rôle clé dans le développement économique des fabricants de processeurs. Dans cet article, G. Roussilhe explique comment l’industrie – comme Intel – a eu un besoin vital d’augmenter la production de puces toujours plus puissantes pour maintenir sa marge. Pour s’assurer que la puissance de calcul mise sur le marché chaque année soit entièrement “consommée”, l’industrie a dû faire alliance avec les principaux éditeurs de logiciels. C’est le cas du duo Windows / Intel qui a été central dans cette dynamique.
Les gains de performance considérables réalisés au niveau des composants ont alors entraîné une baisse de l'efficacité des logiciels. La promesse du doublement des capacité des microprocesseurs énoncée par la loi de Moore a permis d'orchestrer la production de logiciels plus complexes sans se soucier que le matériel ne soit pas assez performant.
La sortie des nouveaux produits Intel coïncidait ainsi avec celle du nouveau Windows. Cet article de 2008 rappelle comment Intel avait fait plier Microsoft dans le but de continuer à réaliser des bénéfices. Dans ce contexte de monopole, les fabricants de PC ont dû suivre l’exemple, acheter la puce Intel adaptée à la version de Windows et en supporter le coût.
« Chaque fois qu'Andy Grove [de Intel] fabrique une puce plus rapide, Bill Gates [de Windows] l'utilise entièrement. Gaspiller des transistors est la loi de l'économie […], et Gates en a été le représentant le plus brillant et le plus ingénieux.» Gilder, G. (1995). The Coming Software Shift: Telecosm
Une situation qui nous rappelle celle d’aujourd’hui, nous dit Gauthier Roussilhe. Les fournisseurs de modèles d’IA comme OpenAI sont dans une position équivalente à celle de Microsoft dans les années 1990 et 2000 : garantir que toute la puissance de calcul mise sur le marché soit consommée.
Actus du projet Limites Numériques
⚙️ De nouvelles idées de paramètres écologiques sur mobile avec cette nouvelle piste abordant l'angle collectif. En effet si des options plus sobres dans les paramètres existent, la plupart d’entre nous ne les changent pas. Soit par méconnaissance, soit de peur de “tout casser” l’état par défaut.
Mais nous avons observé que les personnes font bien plus confiance aux conseils de leurs pairs qu’à l’application elle-même pour changer leurs paramètres. C’est ce qui nous a donné envie d’explorer la piste collective. Quelques extraits :
💡 Copier ou s’envoyer l’état des paramètres d’une application aussi facilement qu’on s’envoie une photo. L’idée est de favoriser l’entraide entre personnes pour appliquer des paramètres plus sobres.
💡 Avoir des commentaires de groupe proposés sur certaines options de paramètres telles que “À moins que tu imprimes tes photos en A3, tu n’as sûrement pas besoin de cette définition”.
💡 Mettre au vote certains paramètres utilisés en groupe. Par exemple concernant la compression ou la péremption des médias envoyés dans une discussion de messagerie.
Designers Éthiques cherche des mécènes pour la prochaine édition de la Journée de l’écoconception numérique. Si votre organisation peut être intéressée contactez jen@designersethiques.org.
Sans limites 🙃
Sur la Switch 2, Nintendo semble avoir modifié le port USB-C pour limiter la compatibilité avec des câbles d’autres marques.
Youtube utilise l’IA pour “améliorer” la qualité ou la définition des vidéos sans l’accord de ses créateurs et créatrices. Un rendu lisse et “plastique” très vite remarqué par les internautes.
Microsoft Word enregistre désormais par défaut vos documents dans le cloud.
Champion de l’obsolescence, Bouygues Telecom lance un forfait permettant de changer pour un nouveau téléphone dernier cri tous les ans.🏆
Réglementation
10 ans après la création du délit d’obsolescence programmée en France, aucune condamnation n’a encore été rendue malgré les nombreuses plaintes déposées.
En vrac
La coupe du monde de la plus rapide réparation de processeurs d’iPhones.
Un site hébergé sur le circuit électronique d’une vapoteuse jetable. Une manière de montrer les capacités démesurées mises dans de simples objets destinés à être jetés.
Aux États-Unis les coûts de l’énergie augmentent auprès des particuliers. Pourquoi ? Car la consommation croissante et massive des datacenters crée une pression sur le marché, nécessitant de nouveaux investissements d’infrastructures électriques que les ménages doivent payer.
Anecdotes
Notre passion dans l’équipe c’est les réparations un peu schlag de charnières d’ordis…
Vu par Aurélien : ce pauvre robot Pepper, orphelin de son support logiciel, est devenu un vulgaire porte document.
Merci de nous avoir lu !
PS: on a aussi changé de service de newsletter : bye bye Substack on teste Buttondown. Profitez-en pour (re)lire nos précédents numéros ou partager notre travail autour de vous ! 🙏